Le mythe de la violence
La violence se tourne vers ceux qui sont en situation de faiblesse. Elle est une lâcheté. Rien ne sert de pleurer telle ou telle victime, nous sommes tous des victimes potentielles dès que nous nous trouvons en position d’infériorité. Il y a un sens unique de la violence qui s’appelle l’impuissance. L’un tape sur celui qu’il sait moins fort et personne ne veut recevoir de coups. Celui qui agresse, celui qui frappe, n’est pas une brute sanguinaire, c’est quelqu’un qui se croit supérieur à celui qu’il agresse. Et moins la victime ne peut se défendre, plus elle a droit au défoulement de celui qui se croit invincible. Frapper sur quelqu’un incapable de se défendre procure une jouissance quasi divine pour un pauvre type. Le sentiment d’échec créé cette recherche de l’être sur qui se défouler. La violence, c’est se placer dans une situation de supériorité comme se mettre à plusieurs pour attaquer une personne seule.
La violence est la divinisation du lâche, du pauvre type, de la raclure. On ne s’attaque aux autres que lorsque l’on est sûr de gagner, sinon on n’a d’autre choix que le compromis le moins honteux possible. La violence est partout, elle commence à côté de nous sans que l’on en prenne conscience. Elle reste banale tant qu’elle ne dérange pas nos habitudes. Tant qu’elle n’est pas une persécution systématique et sanglante, elle est tolérée comme faisant partie de nous. Pour chaque victime en devenir, il existe un bourreau qui ne demande qu’à surgir pour assouvir son besoin de valorisation. On devient rarement victime par masochisme, c’est un bourreau qui nous place dans cette situation ambiguë par un mélange de douceurs et de brutalités. L’amour nous place dans un état d’infériorité susceptible d’engranger la violence. Le masochisme n’est pas une cause, mais une façon de vivre une situation d’infériorité dans laquelle on se trouve enfermée.
La violence contre les femmes est une violence parmi d’autres. Elle apparaît subrepticement en même temps qu’apparaît cette idée qu’une victime n’existe que par les coups qu’on lui assène sans crainte de représailles. L’évidence d’une victime est la première manifestation de la violence. Cette évidence se construit peu à peu dans deux esprits à la fois, l’un pour obliger, l’autre pour accepter. La violence est si souvent ambiguë qu’on finit par y abandonner toute sa logique. Elle est spectaculaire parce qu’elle met deux êtres dans une situation opposée, celle de bourreau et de victime avec une telle évidence qu’il devient impossible de le nier. La violence surgit avec brutalité une fois qu’on devient une victime. On s’ingénie à le nier selon ce principe que la victime fabrique son bourreau et que le bourreau ne l’est que dans certaines circonstances particulières. L’homme qui frappe est un individu normal avec une vie familiale d’apparence banale. Il se trouve petit à petit dans une situation de violence qui lui échapperait suite à une attitude de provocation de la part de son épouse. Le bourreau serait victime de la victimisation de sa proie.
Une femme apprend la violence avec d’autres femmes, ses copines de classe, de fac ou de travail. Au contraire de ce que l’on pense, une femme s’adapte à la violence dont elle fait son quotidien même si elle prend une forme différente que chez un homme. Une femme peut cultiver la violence et la diffuser à petite dose sur une longue période. Bonjour tristesse de Françoise Sagan décortique habilement la jalousie d’une jeune fille pour la nouvelle élue de son père la poussant vers la mort prenant l’apparence d’un accident. Une violence sans haine, une jalousie tamisée et invisible. La femme ne découvre pas la violence avec un homme.
La violence est l’art d’inverser les rôles. La victime, pour se défendre devient un bourreau faisant de son bourreau une victime. Selon le moment où l’on arrive, on peut se faire une idée très différente du bourreau. C’est quand on ne peut plus discerner la victime du bourreau que la violence s’installe comme une normalité de l’existence. Elle est supportée parce que plus personne n’y comprend rien à commencer par les acteurs eux-mêmes se laissant aller aux pulsions de leur brutalité naturelle. Une fois impunie, la brutalité, devenant une évidence pour tout le monde, finit par trouver sa légitimité.
La bestialité dure tant qu’elle n’est pas perçue comme telle. La victime s’accommode de sa situation tant qu’elle se sent impuissante face à elle. La violence physique s’accompagne d’un grand nombre de phénomènes qu’on a du mal à comprendre, expliquer et rationaliser. On sent qu’il se passe quelque chose d’après les tensions ressenties, mais on ne sait pas quoi dans la mesure où l’on n’a pas le nom approprié à mettre sur ce que l’on subit. Le monde la violence est un monde entièrement dévolu à l’ambiguïté de l’être et du paraître. La violence baigne dans un terreau de rapports imbriqués et compliqués. On ne frappe pas subitement. L’acte physique est l’aboutissement d’une préparation où le bourreau s’arroge son bon droit et où la victime se prépare au rôle qu’elle finit par accepter, la plupart du temps parce qu’elle n’en voit pas les conséquences.
Il n’y a pas de violence physique sans préparation psychologique, mais la violence psychologique ne débouche pas forcément sur la violence physique. Certains esprits arrivent avec délectation à anéantir un autre esprit sans qu’il ait le temps de trouver la réaction appropriée. La violence psychologique est invisible, mais ses ravages sont autant spectaculaires que la violence physique. La limite entre violence psychologique et physique est invisible. La violence est supportable quand elle est partagée. La mise en place de la tourmente est un engrenage diabolique faite d’une mécanique implacable de sentiments pervers.
Nous avons tous une violence en nous, mais nous ne l’exprimons pas de la même façon. Nous la canalisons par toutes sortes de moyens. Ce que l’on en voit n’est qu’une partie infime de sa réalité. Une œuvre d’art est une forme de violence. On triture le réel jusqu’à le soumettre à notre volonté. Cette prise de possession d’une réalité qui nous semblait étrangère jusque-là ne peut se faire sans violence. C’est quand on se met l’idée en tête que l’on est une victime qu’on entre dans le monde de la violence. Plus l’artiste se sent victime d’un monde ingrat, plus ses formes de créations sont agressives. La plupart des bourreaux, même les plus effroyables se présentent comme des victimes. La vie est une violence et, un jour ou l’autre, nous en sommes tous la victime.
L’expression ‘violence contre les femmes’ est complaisante. Il faut parler de torture, c’est de cela dont il s’agit. Le mot violence est un euphémisme trompeur. On peut avoir un accès de violence pouvant déboucher sur une agression physique, mais sans qu’il y ait pour autant continuité. La torture est une persécution qui ne s’arrête plus une fois mise en place.
Les femmes battues ou violées subissent deux violences, physique qu’elles ont subie et psychologique quand elle doivent en parler. Les chiffres sur la violence et les viols sont superficiels. Toutes les femmes ne peuvent témoigner. Selon le rapport d’Amnesty International, « une femme sur trois, au moins, a reçu des coups, subi des relations sexuelles imposées ou d’autres formes de mauvais traitements au cours de son existence ». En France, le chiffre officiel est de 1 femme sur 10. Cela signifie que nous côtoyons tous une femme victime de torture conjugale sans que nous le sachions. Selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), environ 70 % des femmes victimes d’homicide ont été tuées par leur compagnon. Il faut arrêter les banalités qui présent les victimes comme des pétasses moches et débiles et les bourreaux comme des bêtes sanguinaires. Les victimes et les bourreaux sont des individus comme on rencontre tous les jours. Un mari peut devenir une brute quand il se sent victime des ratés de son existence. La violence est extrêmement contagieuse.
Les jeux anodins de trois garçons contre une fille débutent dès la communale sans que personne n’y trouve à redire. Avant d’en arriver aux mains, une alchimie se met en place. Le mâle cherche à s’enquérir de la dangerosité de ses actes, non pour la femme, mais pour lui-même. Aussi fort soit-il, l’agresseur se sent faible, il n’est jamais assez prudent, il avance à pas feutrés dans l’horreur. C’est quand il est sûr de son impunité que les coups commencent à pleuvoir, d’abord mesurés tant qu’il subsiste une incertitude. Quand ce doute disparaît, quand le bourreau se sent maître de sa victime, commence un jeu diabolique de haine et d’amour où la haine triomphe sans même que la victime en prenne conscience. Cynisme, regrets, moqueries et remords ponctuent les coups.
La violence, une fois commise, l’homme l’oublie. Il se sent comme libéré en minimisant ses actes jusqu’à les justifier. Une fois subie, la femme s’en culpabilise avant même de chercher à s’en libérer. L’homme a tendance à oublier ses actes pour lui légitimes, mais regrette la situation dans laquelle il pense avoir été placé. La femme remémore ses actes sans comprendre la situation dans laquelle elle s’est placée. Le décalage réactif explique peut-être bien des phénomènes de violence, voire de persécution dans la mesure où la victime ne trouve pas le moyen de ses propres réactions.
Les vrais mâles, on les reconnaît quand ils se mettent à plusieurs contre une nana des fois qu’elle se débattrait. T’as du muscle, t’es grand, t’as des couilles, elle est sans défense aucune, tapes lui dans les seins avec tes poings, c’est comme si je te donnais un coup de pied dans les couilles, ça laisse pas de traces. Si t’es amateur sapin de Noël, tu tapes dans la bouche, avec un peu de chance, tu lui pètes deux dents. Le nez, super fragile, ça pète d’un rien et ça pisse le sang, c’est beau et ça coûte pas cher. Les yeux, ça laisse ta marque d’homme viril, un coup de poing suffit pas, tu lui en fous plusieurs, acharnes toi, t’es un mec ou quoi ! Et puis quand t’en as marre de taper sur elle, il y a tes mômes, encore plus facile, ça crie presque pas, ça ose pas. Et ça saigne, ça casse, ça pisse, ça te coûte rien, ça ne risque rien, du viril quoi !
La plupart des tarés ne se font pas prendre, pas de témoin, une nana qui se prend une porte dans la tronche pas de quoi en faire un plat ! Impossible de trouver des témoins, tout se fait en silence, personne ne voit jamais rien, le silence est la pire violence que l’on puisse commettre. Au pire, 20 ans de taule, 15 pour bonne conduite, 10 avec un peu de pot, comparé à l’enfer que t’as laissé dans sa tête, c’est que dalle ! Bertrand Cantat (né en 1964), chanteur talentueux du groupe Noir Désir, qui massacre à coup de poing sa compagne Marie Trintignant (1962-2003), sort de prison après 4 ans sans que cela choque ses groupies.
T’es un vrai homme, le viol, c’est encore plus facile, pas de trace, tu la casses, juste quelques coup pour la calmer, facile. Le viol est l’une des violences les pires qui soient qu’une femme puisse subir. Prendre un coup fait très mal. Se faire violer, c’est se faire violenter dans ce que l’on a de plus intime. Une agression dans la rue est terrible, mais une fois chez soi, on trouve l’apaisement salutaire pour se remettre. Une femme violée se sent dépossédée de cette intimité où elle puise son réconfort.
Des malades peuvent violer une femme dans la rue. Mais la plupart des viols se font quand il existe un rapport familial, amical ou social entre le bourreau et sa victime, rendant la douleur plus grave encore. L’homme se défend en affirmant que la femme a provoqué chez lui d’incontrôlables pulsions. Le bourreau se plait à se reconnaître dans sa victime. Il y a une histoire d’amour raté dans la malveillance et la victime qui se détache de son bourreau ne fait qu’en accroître la haine. Une famille, une amitié ou un travail se traduit par une intimité comme s’il existait un pont entre l’homme et la femme. Un inconnu violeur peut se targuer d’une provocation féminine, elle sera rarement crédible. Quand il existe un lien au départ, comment prouver que cette provocation n’existe que dans la tête de l’agresseur ? Et que dire quand un mari viole sa femme ? La femme se trouve prisonnière dans un état de culpabilisation et de honte qui la terre dans le silence.
Une femme qui se fait massacrer est une victime, pour s’en sortir, il faut qu’elle cesse de l’être. Dans le rapport ambigu amour/haine, ce n’est pas simple. On se protège contre une barbarie étrangère, c’est plus difficile quand elle adopte un visage familier et aimé. C’est en arrêtant de penser qu’on commence à avoir peur. La violence engrange un climat de terreur où l’on perd le contrôle de soi. La première agression est d’empêcher une femme de penser par elle-même en la persuadant qu’elle en est incapable. Une femme violentée n’est pas une idiote, mais une femme qu’on arrive à convaincre de sa bêtise. La victime est percluse de culpabilités auxquelles elle s’identifie devenue incapable de penser par elle-même. En réduisant une femme à un corps, on nie son âme et sa capacité à résoudre ses problèmes. Femmes, prenez votre âme en main et ne la lâchez jamais.
Bien vu, comme toujours, fine analyse en particulier des aspects sociaux et de l’ambiguïté des relations entre le bourreau et sa victime. Ce dernier point fait de nous, je le crains, des bourreaux potentiels en fonction des circonstances. Je suis peut-être pessimiste, mais je crois en effet que la violence est au fond de nous, bien tapie, jusqu’à ce que les circonstances (qui peuvent ne jamais subvenir) changent la donne. Cette même violence se retourne parfois contre nous et fait de nous des victimes.
oui je crois malheureusement que tu as raison. En plus, je n’ai pas voulu trop parler de la violence féminine qui est également une réalité très angoissante, peut-être encore plus que celle des hommes. en tout cas, merci pour ton super commentaire Brice
Félicitations pour ce texte si détaillé e si sensibilisant.
merci beaucoup Renan )))
J’aime beaucoup ton texte. Il traduit clairement ce que je pense et tout le mépris que l’on peut porter sur les bourreaux persécuteur et en manque de supériorité. Bravo, tout est très bien exprimé. J’en connais quelques uns à qui ça ferait bien de te lire!
merci beaucoup pour ton commentaire qui me va droit au coeur
Ce fut un bel article à lire, je vous remercie pour le partage.