Velasquez, Diego Rodríguez de Silva y Velázquez (1599-1660), le secret des Ménines

S’imbriquant les uns dans les autres, les regards s’échangent pour former un tissu, une matière, un monde. Dans le chef-d’œuvre des Ménines, Suivantes, le peintre montre ce dont on se désintéresse, la façon de voir. Fait unique dans l’histoire de la peinture, il ne révèle ni une scène, ni une histoire, mais le moyen de les contempler, une espèce de mode d’emploi de l’œil sans fioriture de sens, de détails et de superflu, des personnes authentiques dans une rigueur ascétique, sans décorum, les peintures aussi sombres que les murs. Ce n’est pas la lumière qui illumine le monde, c’est l’œil. L’œil est une invention perpétuelle, une réverbération sans fin. Un portrait du roi et de la reine dans le reflet d’un miroir derrière le peintre regardant dans notre direction. Le roi et la reine sont petits, il faut les deviner, un accessoire. Velasquez peint le regard, le pinceau de l’intelligence. Le détournant dans une réflexion, il peint notre regard.

Velasquez des Ménines, 1659

Velasquez des Ménines, 1659

L’infante Marguerite, accompagnée de sa suite de servantes et serviteurs, se trouve au milieu du tableau. Le roi reconnaît sa fille, une surprise, l’infante n’a rien à faire dans ce tableau qui ne lui est aucunement destiné. L’infante devient l’héroïne d’une vision à laquelle elle ne fait pas partie. Une enfant pour une toile à la taille écrasante devant laquelle se trouve le peintre, le capitaine d’un navire. La vision commande. Plus de trois mètres de haut pour peindre un roi et une reine, c’est plus qu’il n’en faut. Même pour peindre la scène intime qui se trouve devant nos yeux, la toile est trop grande. La lumière est attirée par l’œil. Or si l’infante accapare la lumière, l’autre élément du tableau baigné de lumière est la toile elle-même. Une fois l’œil tombé sur ce géant de bois, le regard va imperturbablement sur la personne se trouvant en face. Il a besoin de justifier cet objet. L’infante passe au deuxième plan, elle est reléguée au rôle de justificatif. Le roi et la reine sont présents, ils sont invisibles, un reflet sans intérêt, un prétexte pour l’art.

Un autre personnage accapare notre regard, cet homme dans l’embrasure de la porte. On discerne mal ses traits, mais il se trouve dans un bain de lumière. Il est là pour équilibrer l’ensemble. Une fois l’équilibre atteint, une fois le regard rassuré, il peut plonger vers ce qu’il ne voit pas distinctement, la noirceur du tableau qui, elle, ne possède qu’un seul maître, le passage de la lumière à l’ombre, le peintre. En fin de compte, ce que regardent le roi et la reine, le peintre lui-même. Pas le choix, ils doivent regarder le spectateur, ici le peintre. L’infante, on la voit, on ne voit qu’elle, elle est logiquement à sa place à côté de ses parents. Baignée de lumière, elle ne pose aucun problème, aucun mystère n’émane d’elle, elle s’oublie vite.

Crucifixion, 1632

Crucifixion, 1632

Dans la peinture de Velasquez, l’ordre inférieur se hisse au rang de l’ordre supérieur. Il est son égal comme le reflet d’un miroir. Le peintre fait face au roi et à sa cour, on sait qu’il existe des êtres supérieurs, on les voit au naturel comme débarrassés du clinquant de la naissance. Dans ce tableau, tout le monde est au même niveau. Un monde révolutionnaire, une hiérarchie mise à plat. Le monde vertical est conçu sur le plan horizontal. Le roi, l’égal d’un dieu, des supériorités invincibles, est à portée d’œil. Chaque être a son double, il n’est plus aussi unique, chacun partage son être en autrui. La vie est un jeu de dépendances entre des êtres du même niveau. Ce qu’est l’un, il ne peut l’être qu’en fonction d’autrui. Le roi lui-même est assis sur une assistance sans laquelle il ne peut exister. La hiérarchie verticale est abolie. Seule la raison domine l’existence. Le rapport au divin est un rapport raisonnable. Certes, il existe toujours un rapport mystique au divin, mais ce rapport doit s’inscrire dans l’horizontalité de la vie marquant le fondement de tout ce qui existe. Dieu parachève un ordre auquel il ne participe plus directement. L’humain est responsable de son destin, à lui de le prendre ou non entre ses mains. Le monde que peint Velasquez est profondément humain. La magie du monde se réduit à un jeu de miroir et de reflets. Un palais des glaces où les murs sont constitués de nos reflets s’enchevêtrant jusqu’à donner l’apparence du monde dans lequel nous voguons. Personne ne sait où il va, le capitaine trace un chemin, il n’en existe pas d’autre, il faut le suivre.

Le monde vertical dépend de forces indépendantes de l’humanité, le monde horizontal est un monde humain réglé par la volonté. On peut vaincre la verticalité grâce à l’arc-boutant et l’arc brisé, il s’agit d’une conquête relative. En revanche, le monde horizontal est entièrement dominé par la volonté humaine. Dans la verticalité, le plus lourd tombe plus vite. Dans l’horizontalité, la volonté du plus fort domine celle du plus faible.

Adoration des Mages, 1619

Adoration des Mages, 1619

Taille gigantesque de la toile à peindre vue de dos comparée à celle des différents personnages en place, notamment du roi et de la reine dont le reflet est ridiculement étroit. Le peintre nous regarde comme si nous étions son modèle. La jeune infante lumineuse nous regarde. La naine nous regarde également. Entre les deux, une jeune fille nous regarde de trois quarts comme si elle ne possédait pas ce pouvoir de regarder de face. Le roi et la reine semblent regarder dans notre direction alors qu’ils sont devant la scène que nous apercevons. Le personnage dans l’encablure de la porte regarde la scène à l’envers. Velasquez offre une magistrale et unique leçon à un peintre et son spectateur, la leçon qui fait de lui l’un des plus grands génies de la peinture. Il y a à cela une raison, aucun peintre n’a jamais autant vécu dans son œuvre au point de disparaître en elle. Nous ne connaissons presque rien de son existence. Il n’a rien écrit, aucune correspondance, en tout cas qui est parvenue jusqu’à nous. Nous connaissons sa vie officielle, rien de son intimité ne transparait. Un accident de l’histoire ou une stratégie ? La première biographie est écrite par Antonio Palomino, El museo pictorico y escala optica, dans le troisième tome, El Parnaso espagnol pintoresco laureado, en 1724, probablement avec les témoignages de personnages ayant connu le peintre.

Le Christ chez Marthe et Marie, 1618

Le Christ chez Marthe et Marie, 1618

À l’époque où nait Velasquez, la peinture est considérée comme un métier « vil et mécanique » parce qu’elle fait usage des mains. Néanmoins, les idées évoluent, il existe un débat passionné quant à savoir si elle peut rejoindre le groupe des sept arts libéraux (le Trivium, grammaire, dialectique et rhétorique, et le Quadrivium, arithmétique, musique, géométrie et astronomie) définis par Gallien au IIè siècle. La Renaissance, soucieuse de perspective et de proportions, confère à l’art un langage arithmétique et géométrique faisant partie des arts libéraux. On sait que le peintre possède de nombreux livres de mathématiques dans sa bibliothèque (156 recensés). Pourtant, l’Espagne de cette époque, au contraire de l’Italie, ne peut admettre que la pratique de la peinture puisse être compatible avec l’état de noblesse, une condition que réclame Diego, son père, Juan Rodriguez de Silva (mort en 1647), de lointaine origine portugaise, une espèce de notaire ecclésiastique, et sa mère, Jeronima Velasquez (morte en 1640), pouvant se targuer d’une origine noble. Son père ne peut prétendre qu’à un statut anodin de l’hidalguia. Sa famille ne dispose que de revenus modestes d’où la raison que Diego, comme Juan (1600-1631), son frère cadet (il a sept frères et sœurs), est orienté vers le métier d’imageries. Vendre des peintures est infamant. Il n’empêche que Diego se place dans le tableau des Ménines à l’égal des autres personnages de sang royal. Un homme ambitieux, sans aucun doute.

Tête de jeune fille, 1618

Tête de jeune fille, 1618

Garçon intelligent, Diego montre une disposition pour le dessin. Il fréquente le collège des jésuites de Saint-Herménégilde à Séville, sa ville natale, à ce moment une cité prospère grâce au commerce avec l’Amérique attirant quantité de marchands hollandais, flamands ou génois. Il fait montre d’une telle passion pour le crayonnage que ses parents le laissent persévérer dans cette voie. Il faut entrer comme apprenti, généralement entre 12 et 16 ans, chez un maître qui le nourrit, le loge, le soigne le cas échéant, s’engage à bien le traiter, sachant qu’il n’est pas un domestique. Il reçoit une petite rémunération. Il apprend son métier pour devenir maître à son tour. Une première expérience malheureuse, Francisco Herrera le Vieux, El Viegio, (1576-1656), un peintre de talent, mais au caractère difficile n’hésitant à aucune brimade et vexation que ne peut supporter longtemps le tempérament fougueux et orgueilleux de Diego. Quelques mois plus tard, le 1er décembre 1610, il est chez Francisco Pacheco (1564-1644), un peintre maniériste cultivé ayant de nombreux amis humanistes, où il se trouve bien. Il y reste 6 ans. Diego est subjugué par l’humanisme.

Marchand d'eau de Séville, 1619

Marchand d’eau de Séville, 1619

Très vite le naturalisme de Velasquez l’emporte sur le maniérisme de Pacheco. Velasquez invente une nouvelle façon de voir. Selon l’aveu même de son maître, il se révèle exceptionnel dans l’art du portrait auquel il donne une expression singulière. Alors qu’il est un excellent dessinateur, il ne réalise un dessin préliminaire que si son modèle ne peut poser suffisamment longtemps, sinon il peint directement sur l’ébauche esquissée. Ce n’est pas un élève qui rencontre un maître, mais deux hommes qui se trouvent en se nourrissant l’un de l’autre. À la fin de son apprentissage, Diego participe en égal au travail du maître. Pacheco n’est pas un peintre de génie, il a le génie de son époque en se tournant résolument vers le monde moderne. Il nourrit son élève de culture en mêlant l’art aux lettres. Il est fasciné par Dürer, Leonard de Vinci, le Titien ou Rubens et communique son enthousiasme à son élève. Il lui apprend l’effervescence d’une époque naissante. La peinture n’est pas un travail manuel, un art à part entière, un art savant. Haut la main, Diego acquiert son titre officiel de peintre en mars 1617, il en est fier. Le 23 avril 1618, il épouse dona Juana de Miranda, fille de Francisco Pacheco (peut-être la Vierge dans le tableau de l’Adoration des mages en 1619). Diego a à peine 19 ans, son épouse n’en a pas 16 (1602-1660). C’est dire combien son maître l’apprécie. Ils ont deux filles, Francisca et Ignacia, morte très jeune.

Vieille femme faisant frire des œufs, 1618

Vieille femme faisant frire des œufs, 1618

Dans sa première période, Velasquez ne cache pas son admiration pour Caravage qu’il n’hésite pas à plagier comme beaucoup de peintres à l’époque. Sous l’influence des Pays-Bas méridionaux, l’agressivité de Caravage est remplacée par une compréhension intime des choses et des gens selon le principe du bodegon, mélange de nature morte et de scène de genre de la vie quotidienne. La vieille femme faisant frire des œufs, 1618 (œuvre d’apprenti encore maladroit), montre une femme âgée vue de profil dont le regard est étonnamment solennel, pourtant se livrant à une tâche matérielle secondaire. Quant au jeune garçon (Diego Melgar, l’apprenti de Velasquez) tenant un melon de son bras droit ressemblant à une sphère terrestre et une carafe de vin de sa main gauche, a l’air d’un roi ou d’un philosophe, laissant fuser un regard profond. Deux personnes entrent en contact, sans pour autant échanger leurs regards, la femme regarde au loin sans se soucier de ce qu’elle fait, un geste répété à l’infini. L’œuf est connu comme symbole d’impermanence. Tout ce qui fonde la permanence du monde, les objets de notre quotidien se remplissent et se vident, grandissent et vieillissent, se construisent et se cassent. Les choses sont posées sans être articulées entre elles. Sans doute une maladresse, mais aussi la volonté de montrer une réalité terrifiante, notre monde est posé, c’est à nous de le faire vivre et de lui donner un sens. Faire cuire un œuf comme le veut l’expression populaire est une occupation subalterne, un acte sans conséquence. Velasquez s’ingénie à mettre de la profondeur dans une scène dérisoire et éphémère. Il s’agit de l’œuvre d’un peintre philosophe. Quand Velasquez peint en 1629 un Démocrite pointant son index sur un monde en riant, c’est une déclaration de guerre. L’art n’est pas un jeu ni un passe-temps, une mission.

Démocrite, 1629

Démocrite, 1629

Le 31 mars 1621, Philippe III meurt. Son fils Philippe IV prend sa place. Don Gaspar de Guzman, comte d’Olivares, sévillan, ami de Pacheco, entre au Conseil d’État. Il fait fonction de premier ministre de 1622 à 1643. Un poste vital, le roi se désintéressant des affaires d’État. Pacheco invite son gendre à se rendre à Madrid, où il s’installe en avril 1622, accueilli par les deux frères de Pacheco. Ses portraits sont appréciés, mais, ne recevant pas l’appui désiré, il rentre à Séville en janvier 1623. Partie remise. À la mort du peintre de cour Rodrigo de Villandrando (1588-1622), Velasquez, sur recommandation du comte d’Olivares, le remplace en mars 1623, un poste honorable, pas un pactole. Un statut proche d’un fonctionnaire, non d’un privilégié, même s’il dispose des avantages de la vie de palais et l’assurance de commandes. En août 1625, il possède un appartement à Madrid où s’installe la famille. Juana possédant une belle dote, le couple jouit d’une aisance agréable. Diego attire l’attention du roi par des œuvres, des portraits de la famille royale, la plupart sont perdus. Des concours sont organisés pour obliger les peintres de cour à ne pas s’endormir sur leurs privilèges. Velasquez, le moderne, en gagne plusieurs. Il est apprécié à sa juste valeur. Même ainsi, il se sent déprécié, il sait qu’il est l’un des plus grands peintres de tous les temps, il l’imagine.

Femme à l'éventail, 1635

Femme à l’éventail, 1635

Sans doute sur le conseil de Rubens séjournant à la cour d’Espagne, ayant compris le puissant talent de Velasquez, en août 1629, Diego s’embarque pour Gênes. Avec l’appui du roi, Diego va en Italie pour approfondir son art. Il bénéficie de deux ans de salaire et arrive en tant que peintre officiel de la cour d’Espagne. Il va à Milan avant de se rendre à Venise, Rome, où il est logé à la Villa de la Vigna, la Villa Médicis, et Naples. On ne sait rien de ce voyage. Une chose est sûre, le voyage élargit sa palette avec des pigments légers et dilués au lieu des pâtes épaisses utilisées auparavant. La clarté de ses paysages laisse penser qu’il a pu installer son chevalet au grand air, une rareté à l’époque. Sa peinture est simple et naturelle même quand elle s’attache à un personnage royal. Aucune fioriture, l’essentiel sans surplus, peut-être devait-il dire sans tricherie. Un travail direct ne se souciant d’aucun chemin de traverse pouvant détourner l’attention. Cette attitude directe a sans doute plu au roi. La simplification, sans nuire au détail, et l’expressivité avec une économie de moyens sont la marque de son génie. Ce qui est simple va plus loin que ce qui est compliqué.

La forge de Vulcain, 1630

La forge de Vulcain, 1630

De cette période italienne, une œuvre majeure domine : La forge de Vulcain peinte en 1630. En Italie, Velasquez étudie l’antiquité, plus exactement son usage en peinture. Le sujet est tiré des Métamorphoses d’Ovide. Tout à gauche, le lumineux Apollon, sous les traits d’un adolescent, annonce à Vulcain que son épouse Vénus le trompe avec Mars. Les forgerons cessent leur travail et regardent le messager avec étonnement. Vulcain fixe Apollon sans savoir quoi répondre. Si Apollon révèle une luminance divine, les autres personnages sont ordinaires, des gens du peuple. Ils sont puissamment éclairés et le fer rougi, servant de pièce à une armure qu’on voit sur la droite du tableau, sur l’enclume donne un sentiment de chaleur. Ce qui surprend dans cette peinture, sa sobriété et ses traits de lumière, notamment grâce au reflet des armures accrochées au mur. Les personnages ont des expressions humaines et reconnaissables. Velasquez s’attache à l’étude humaine, il se désintéresse du reste. L’histoire d’Ovide est un prétexte, ce qui fascine le peintre, le contraste entre la naïveté cruelle d’Apollon, le dieu solaire, et la douleur d’un mari trompé et bafoué. La puissance du lieu et des personnages s’oppose au sentiment intime d’impuissance du cocu. L’intériorité secrète finit par se lire sur les traits du visage. Ce qui est caché devient une révélation. Cette révélation et cette vérité ont pour origine une tromperie.

Mars, 1640

Mars, 1640

En 1640, Velasquez offre une image du trompeur, Mars. Un portrait déroutant montrant un personnage humain. On reconnait Mars à ses attributs guerriers, le casque, un bouclier, une armure et une épée. Mais loin du guerrier altier et féroce, on voit un homme s’interrogeant, un penseur dans une pose virile, sans musculature outrée, à l’opposé d’un Michel-Ange, un soldat ordinaire comme il y en avait tant en Espagne. Le casque et une moustache cachent le visage et le regard perdu dans ses rêveries. Il s’agit plus d’un amant que d’un guerrier. Il est dans un lit, sa nudité est recouverte d’un drap bleu avec une couverture rouge, rose par endroits suscitant plus le feu de l’amour que celui de la guerre. On est loin des représentations habituelles du dieu. Mars n’est pas réputé par ses méditations, plutôt par son emportement et sa force. L’homme respire une vraie puissance, mais avachie, dépitée peut-être en apprenant la trahison d’Apollon ayant dévoilé au mari sa faute. Le peintre a-t-il voulu suggérer les défaites de l’armée espagnole ? Si le personnage ne rappelle en rien le peintre, on peut imaginer que Diego ait voulu peindre son dépit face à une carrière ne prenant pas la tournure désirée ? Un regard intérieur, une réflexion au sens propre, le retour et le dévoilement d’une image sur soi-même. Les reflets du casque rutilant et de l’armure sont à terre, ils réfléchissent la lumière, cette lumière reste désespérément vide.

En 1627, il est nommé ugier de camara, huissier de chambre chargé de surveiller les portes de l’antichambre royale. Un travail strict, mais dont Velasquez ne suit pas vraiment l’horaire contraignant. En 1636, il est ayuda de guardarropa, valet du vestiaire du roi chargé de la tenue des vêtements du personnel du palais. Il n’est qu’un simple superviseur commandant aux nombreux mozos de servicio, garçons de service. En janvier 1643, il est ayuda de camara, valet de chambre du roi tout en cumulant son ancien titre ce qui lui vaut deux salaires. Il est présent à tous les repas du roi et veille au bon déroulement de ses commodités. Un travail astreignant. Jusqu’en 1646, il ne s’agit que d’un titre, à partir de ce moment, il doit remplir une fonction, perdant du temps sur sa création. En juillet 1647, Diego se plaint d’un arriéré d’un an et demi de gages non payés. En 1652, Velasquez est nommé aposentador major de palacios, grand fourrier du palais. Étrange distinction pour un peintre, ce poste exige un travail à plein temps ne laissant plus de place pour la peinture. Il a droit à un logement de fonction et des gages élevés. Curieuse démarche pour un peintre de génie de demander officiellement de se détourner de son travail. Ses dernières œuvres ne révèlent aucun déclin de son génie. Le seul reproche qu’on lui fait est d’être trop lent dans son travail de peintre, obligeant ainsi à un temps de pose fastidieux. Son goût de l’arithmétique, de la géométrie, des connaissances approfondies des proportions et de la symétrie développent un intérêt pour l’architecture qu’il exerce pour la refonte de l’Alcazar, résidence principale du roi où siège la monarchie. Il ne travaille en fait que sur la décoration des salons. La peinture devient secondaire, elle ne lui apporte pas la gloire espérée.

Le nain Sebastian de Morra, 1645

Le nain Sebastian de Morra, 1645

Le portrait du nain Sebastián de Morra (mort en 1649), vers 1645 : le nain est au service du cardinal infant dans les Flandres. En 1643, il est à Madrid au service du prince Baltasar Carlos. Le tableau est peint entre 1643 et 1649. Ce qui est étonnant dans cette œuvre est la disproportion entre la taille enfantine de l’homme et son regard incroyablement profond. Non seulement son infirmité laisse ses activités intellectuelles intactes, le visage respire l’intelligence. Le nain virevolte dans un monde supérieur, il en connait les recoins et les bas-fonds. Il sait que l’opulence la plus criarde ne parvient jamais à cacher la misère humaine, celle qui colle autant à la pauvreté qu’à la richesse. Le nain est au service des enfants jusqu’à être leur souffre-douleur. Leur rétribution est à la hauteur de ce qu’ils endurent. Les bouffons, truhanes, sont des personnages importants de la cour, ils sont les seuls à dire la vérité sans craindre l’irrespect. Ils sont le regard de l’extérieur, celui par lequel le roi et sa cour peuvent prendre conscience de la vie autour d’eux qu’ils voient de loin sans la comprendre. En cela, on peut dire que Velasquez est le bouffon du roi. Il ne lui apprend pas la vérité, il lui apprend à la regarder. Un regard qui perce le monde des apparences.

Venus au miroir, 1648

Venus au miroir, 1648

La Vénus au miroir que l’on peut dater entre 1645 et 1648 montre un Cupidon tenant un miroir dans lequel apparait le visage de Vénus. Malgré le titre et les ailes, tout dans cette œuvre est réaliste. La scène mythologique est accessoire. En mars 1914, la suffragette anglaise Mary Richardson lacère avec rage la toile exposée au National Gallery depuis 1906. Que cette image puisse la gêner montre à quel point elle est forte. Vénus, allongée de côté sur un lit au drap bleu virant au gris, est vue de dos, un dos admirablement proportionné. Le gris s’harmonise avec la tenture rouge de Cupidon et du miroir. Le miroir ne révèle que son visage alors qu’il devrait montrer au moins une partie de sa poitrine. Une faute de proportion évidemment voulue. Ce dos est un portrait. Le reflet, s’accordant mal avec l’idée que l’on se fait de Vénus, pourrait être celui d’une spectatrice. Vénus ne se regarde pas, mais s’ingénie à découvrir le regard qui se pose sur elle. La peinture s’inspire de Giorgione, La Vénus endormie (1509), et du Titien, La Vénus d’Urbino (1538), que Velasquez a largement le temps d’étudier en Italie. Certains auteurs penchent pour un modèle qui pourrait être la femme peintre Flaminia Triuli.

Le bouffon Pablo de Valladolid, 1637

Le bouffon Pablo de Valladolid, 1637

Le 11 mars 1649, en compagnie de son esclave Juan de Pareja (1610-1670), d’origine maure (Velasquez lui donne sa liberté en novembre 1650. Juan reste à son service jusqu’en 1654, date à laquelle il s’installe comme peintre, doué d’un vrai talent), il débarque à Gênes. Son séjour d’un peu plus de deux ans (embarquement pour l’Espagne en mai 1651) est mal connu. Il réside presque un an à Rome. Sa mission est de récupérer des œuvres d’art pour enrichir l’Alcazar. On parle de plus 180 caisses en bois entièrement aménagées pour parer les dégâts. Le roi est friand d’œuvres d’art. Velasquez ramène notamment des peintures de Véronèse et du Tintoret.

Pape Innocent X, 1649

Pape Innocent X, 1649

Fin de l’année 1649, il peint le portrait du pape Innocent X (Giovanni Batista Pamphili) ouvertement pro-espagnol. Le peintre Francis Bacon, obsédé par cette œuvre, réalise le cycle de l’étude à partir du portrait du pape Innocent X de Velasquez. Un réalisme époustouflant. On sent une forte personnalité malgré ses 75 ans, autoritaire, lucide, un maître d’église. Le pontife est ravi du travail. Il veut rétribuer le peintre qui refuse puisqu’il est au service du roi d’Espagne. Comme dans toute son œuvre, le portrait dénote une harmonie magique basée sur une infinité de nuances. Le tableau connait un tel succès que Diego reçoit un grand nombre de commandes des personnes de la Curie. Il aurait réalisé neuf autres portraits dont on a perdu trace de la plupart. En janvier 1650, il est reçu triomphalement membre de l’Académie de Saint-Luc. On sait que durant son séjour à Rome, il a vécu avec une femme, Marta ou peut-être Flaminia Triuli, avec laquelle il a un fils, Antonio, auquel il tient beaucoup, mais resté en Italie. Il est de retour à Madrid le 23 juin 1651.

Juan Pareja, 1650

Juan Pareja, 1650

Le 16 février 1652, pour le remercier, Velasquez est nommé aposentador mayor del palacio. Le 28 novembre 1659, sur décision du roi, il est fait chevalier de Santiago accordant ainsi à son protégé la hidalguia, la noblesse, autrefois refusée à ses parents. En quelque sorte ministre des Beaux-Arts, il est chargé de la décoration des palais royaux grâce aux nombreuses acquisitions. Expert avisé et écouté, Diego est ravi de ce travail. Malheureusement, l’incendie de l’Alcazar dans la nuit de Noël de 1734 a irrémédiablement détruit le travail réalisé par Velasquez avec des pertes énormes. Nous connaissons le trésor du roi d’Espagne grâce à un inventaire dressé en 1686. La galerie du Nord consacrée à la peinture flamande a, fort heureusement, moins souffert. 79 portraits étaient réunis dans la galerie du Midi. La plus grande salle était le Salon Grande, salon des Miroirs, Salon de Espejos, réputée la plus belle salle du palais inaugurée en 1659. Les reflets des miroirs créaient une ambiance onirique. Les principaux tableaux exposés étaient vénitiens, Titien, Tintoret, Véronèse, Leandro Bassano, plus dix toiles de Rubens. Selon les témoignages, ces tableaux étaient chargés de révéler le triomphe de la vertu sur le mal.

La reddition de Breda, 1635

La reddition de Breda, 1635

De 1645 à 1652, d’importants travaux sont menés pour refaire l’Escorial (couvent et palais destiné à recevoir les tombes des Habsbourg). Velasquez est chargé de la décoration du lieu. En plus de son activité à l’Alcazar, il n’a pas une minute à lui. Il est impossible de savoir ce qu’il y a réalisé, mais on se doute que ce devait extraordinaire. Il opère une sélection rigoureuse pour ne conserver que les œuvres de haute qualité. Toute médiocrité est rejetée. Supprimer systématiquement ce qui peut nuire à la dignité de l’endroit se voulant un sommet de ce que l’humain peut atteindre. Il s’agit également d’offrir une présentation prestigieuse aux œuvres, notamment en les encadrant d’or. Il est rare qu’un peintre puisse accéder librement à un tel trésor de peintures. Velasquez est l’ami de Philippe IV, homme intelligent, cultivé, passionné d’art au point de dessiner lui-même. Il est fervent collectionneur. Rubens le dit : « le roi prend un plaisir extrême à la peinture. » Les deux hommes ont de longues conversations. La passion artistique du roi trouve un répondant à sa hauteur en la personne de son peintre préféré. Philippe aime observer le travail d’un peintre. On raconte que le roi vient voir Velasquez presque tous les jours. Le titre de aposentador mayor est le moyen d’attacher le peintre dans l’intimité de sa cour.

Les fileuses, 1657

Les fileuses, 1657

Les Fileuses ou La fable d’Arachné, terminé en 1657, montre au premier plan dans un atelier de tapisserie (manufacture de Santa Isabel à Madrid) cinq ouvrières, dont Minerve au rouet et Arachné au dévidoir, au deuxième, sur une estrade, la légende autour d’une Athéna casquée, au fond, une tapisserie représentant l’enlèvement d’Europe peint par Titien en 1562, puis Rubens en 1629. Là encore, un tableau à l’envers, le premier plan devrait être rapetissé, voire caché alors que les scènes principales sont éludées. Le travail manuel est mis sur le devant alors que la parade est déplacée sur l’arrière. Les objets eux-mêmes vivent grâce à un habile jeu de lumière. Les grands mythes existent grâce au travail souterrain d’artistes. Nous assistons au tissage du regard, ce qui le met en place, l’oriente, le façonne, en somme lui donne vie. Ovide, Livre VI des Métamorphoses, raconte qu’Athéna apprend qu’une jeune femme excelle dans le tissage et la broderie risquant de lui faire ombrage. Un concours les oppose. Arachné, réalisant l’enlèvement d’Europe par Jupiter, elle gagne en faisant aussi bien que la déesse. Une mortelle pouvant égaler une divinité est inadmissible. En colère, Athéna transforme le vainqueur en araignée condamnée à tisser le restant de ses jours. Le mythe prend le dessus, efface ses créateurs, il n’empêche qu’il a besoin d’être constamment entretenu pour ne pas disparaître. Gare donc à ne pas escamoter ce qui crée sous peine d’être oublié à son tour. La représentation de Velasquez est fluide et tout en mouvement. Le peintre est au sommet de son art, il joue avec les formes, il peint le regard en action.

Philippe IV, 1623

Philippe IV, 1623

L’image d’un roi n’est jamais anodine, elle détermine sa façon d’être et de gouverner. C’est l’image destinée à un public afin d’élaborer la conception de son règne. Or, il est admis que jamais Philippe n’a orienté Velasquez, comme autrefois Rubens, dans telle ou telle direction. Il a laissé entière liberté au peintre. Ce qui implique une confiance totale à son égard. Il ne le montre jamais en tenue d’apparat. Il révèle un homme, pas un souverain. Les Ménines, le titre apparaît en 1843, sont une œuvre de maturité. Velasquez a 57 ans. Le peintre italien Luca Giordano (1634-1705), en voyant ce tableau en compagnie du roi Charles II, fils et successeur de Philippe IV, s’exclame : « sire, c’est la théologie de la peinture ! » Thomas Lawrence parle d’une « philosophie de l’art. » Manet dit qu’il est « le peintre des peintres. » Picasso, zélé continuateur de Velasquez, travaille en 1957 sur une série de 58 toiles consacrées aux Ménines. La première question est de savoir à qui est adressé ce tableau ? Au roi, bien entendu, voire à quelques rares invités. Velasquez ne peut imaginer que son tableau trônera un jour au milieu d’un musée et sera admiré par des millions de gens. D’un autre côté, grand spécialiste d’art, Velasquez sait mieux que quiconque qu’une œuvre d’art est nourrie par le temps auquel elle appartient en propre. Le roi lui-même va disparaître, remplacé par un autre, les goûts changent, qui dit que son tableau ne sera pas rangé dans la catégorie des médiocres ? Un artiste est soucieux de rester, de vaincre le temps, d’offrir une vision que nulle autre ne peut remplacer. L’idée est géniale : au lieu d’imposer une image, pourquoi ne pas concevoir une image créée par le spectateur ? Après tout, le miroir est la seule œuvre d’art pouvant vaincre le temps, celle dont personne ne peut se passer.

Les Ménines, 1659

Les Ménines, 1659

Le tableau des Ménines n’aurait pu être achevé sans la complicité du roi et de la reine. Le roi aime Velasquez. Pour aimer quelqu’un, il faut se sentir valoriser par lui. En quoi un peintre sans noblesse peut-il servir un roi qui possède tout ce qu’il désire ? On peut penser que Velasquez apprend au roi à regarder autour de lui. Il lui apprend le métier de tissage, il lui apprend à rivaliser avec la seule personne lui étant supérieure, Dieu lui-même. Quand Dieu regarde, que voit-il ? L’infante Marguerite (née en 1651), l’héritière de la couronne, a cinq ans, elle est entourée de deux demoiselles d’honneur, ménines, à sa gauche dona Isabel de Velasco, fille du comte de Fuensalida, à sa droite, à genoux, dona Maria Augustina Sarmiento, fille du comte de Salvatierra, capitaine général de l’artillerie, offrant une boisson à l’infante. Tout à gauche de l’infante, la chaperonne de la princesse, la duègne, guardadamas, dona Marcela de Ulloa, portant une coiffe de veuve avec un homme inconnu, peut-être Diego Ruiz de Aecona, écuyer des dames de la cour. Tout à gauche, deux nains, l’Allemande Maria Barbola et l’Italien Nicolas Pertusato mettant son pied sur un chien. Au fond, dans l’escalier, don José Nieto, chambellan, aposentador, de la reine. Un rival malheureux du peintre pour le titre d’aposentador major. Il doit exister entre les deux une rivalité pouvant tourner à l’affrontement. Avec Velasquez, volontairement rajeuni (il a 60 ans, il en paraît 40 si ce n’est son air soucieux), neuf personnages. Le peintre s’apprête à prendre une couleur sur sa palette quand il a une apparition, une illumination intérieure, une inspiration soudaine. Cette inspiration est déterminante, celle d’un capitaine dirigeant son navire. Celui qui semble un rival redoutable à l’avancement de la carrière du peintre est dans l’encablure d’une porte, il ne fait plus partie de la scène sinon comme lointain figurant (réduit à une ligne de fuite). La lumière surgit à notre hauteur. En dehors de la porte, le fond est sombre. Nous, c’est-à-dire le roi et la reine, sommes la lumière de ce tableau. Rien n’est définitif. L’œil ne peut se reposer, il doit constamment chercher le pendant de ce qu’il regarde. En isolant un personnage, il perd tout sens. Chaque personne est une question à laquelle l’ensemble du tableau répond. En somme, une imbrication d’êtres se répondant les uns aux autres. Un événement modifie l’attitude de chacune des personnes présentes. Quel est cet événement ? La venue du roi et de la reine n’a rien d’un événement puisque tous sont ici pour entrer dans un tableau, autour du toi et de la reine. Eux ont leur place légitime, d’autres acteurs ne l’ont pas. Les demoiselles d’honneur, la duègne, le chambellan, les nains et le peintre sont des intrus. Ils sont au premier plan alors que les acteurs légitimes, en dehors de l’infante, ne sont visibles que sous forme de reflet. On retrouve cette idée tenace dans la carrière de Velasquez, un roi ne peut exister seul, il est roi parce qu’une armée de serviteurs le fabrique quotidiennement. Diego nous plonge dans une intimité, respectueuse certes, quelque chose que personne n’est censé voir. Le dessous du prestige et du pouvoir absolu. Montrer le dessous au lieu du dessus, là est sans doute l’audace du peintre, rendue possible grâce à un roi acceptant de jouer le jeu. Il connait parfaitement son peintre préféré, il a le tableau sous les yeux, il ne dit rien, il laisse faire pourtant il est loin de jouer un rôle digne de son statut de roi. On peut donc admettre que cette toile est une volonté du roi, comme un témoignage unique de son intimité. L’important n’est pas ce que l’on voit du roi, mais ce qu’il voit, l’œil royal. Le roi pouvait-il deviner qu’un jour des millions de personnes pourraient s’identifier à ce regard, y prendre leur aise, le faire leur ? Quand on regarde ce tableau, on voit un roi, celui que nous sommes tous. Manuela Mena Marques (née en 1949), conservateur du Prado (créé en 1818), à la suite de radiographies, révèle qu’il existe deux tableaux. Un de 1656 et un de 1659. Le premier est un tableau politique, Philippe IV n’ayant pas d’héritier, songe à marier sa fille Marie-Thérèse, 18 ans, à Louis XIV (mariage réalisé en juin 1660). Sur cette œuvre originelle, pas de chevalet ni de peintre. En revanche, le roi et la reine ne sont présents que sous forme de reflets. L’héroïne du premier tableau est Marie-Thérèse tendant à Marguerite un bâton de commandement. Quand, en novembre 1657, nait Philippe-Prosper, l’héritier mâle, la première version ne peut être retenue. Un monde vient de changer, le tableau n’a plus aucun sens. L’œuvre d’art s’effondre. La deuxième version est une création. Le vêtement du peintre montre la croix rouge de l’Ordre de Saint-Jacques, Orden militar de la Caballeria de Santiago, dont il porte fièrement la croix rouge sur la poitrine (en fait ajoutée par la suite, après novembre 1659), puisqu’il est désormais aposentador mayor. Il ne s’ingénie pas à reproduire ce qu’il voit, il crée une situation dans laquelle il devient le centre absolu du palais, plus exactement l’aboutissement du jeu des regards des différents personnages. Au début, le peintre est quasiment invisible. L’important est l’infante, elle attise la lumière et les attentions, elle devrait être le centre de l’action si son regard ne nous renvoyait à autre chose. Elle nous regarde. Automatique, ce regard intrigant oblige à détourner les yeux vers notre droite, là où se trouve la lumière. Nous tombons sur le regard de la naine allemande. Dès lors nous sommes attirés vers le reflet, il nous indique ce que ces personnages sont censés regarder. Au fond, le roi et la reine sont-ils le reflet de la réalité ou du tableau ? Cette ambiguïté voulue nous place au centre de la toile. Désormais nous creusons l’image. Fiers de cette attention, nous voulons la comprendre. Nous suivons les yeux. Nous tombons sur la duègne et l’écuyer, puis le regard est attiré vers la porte où se trouve le chambellan de la reine. Dès lors un personnage attire notre attention, il prend une dimension que jusqu’ici on ne discernait pas vraiment. Il porte une croix rouge sur la poitrine, il peint devant une toile gigantesque. Il est petit, son œuvre est immense. La pièce n’est-elle pas remplie de peintures ? Sans elles, l’endroit perd tout intérêt. Les peintures protègent le lieu, elle lui donne une dimension qu’il ne possède pas, un fond qui n’en finit pas de s’approfondir. On n’approfondit pas un fond en le parant d’un sens prétendument caché. On l’enrichit sans cesse tant qu’on peut en trouver un nouveau venant non remplacer un autre, mais prenant place à côté de lui, une vaste farandole, voilà le secret des Ménines, l’immortalité de l’art, l’art de l’immortalité, l’immortalité est un reflet, un reflet qui nous regarde.

Autoportrait, 1643

Autoportrait, 1643

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Comments
12 Responses to “Velasquez, Diego Rodríguez de Silva y Velázquez (1599-1660), le secret des Ménines”
  1. Jacques Lam dit :

    une analyse passionnante, toute l’histoire de l’art résumée par un regard, je trouve cela plutôt intéressant

  2. Jean-Louis dit :

    « Je suis dans le grand tout que ma conscience me dévoile ».
    « Connais-toi toi même » et « Deviens ce que tu es »…
    « On découvre le « je » en le construisant. Il est indispensable d’écrire sur soi et sur le monde pour y parvenir.  »
    Et tu y parviens plutôt très bien Céline à découvrir ton « je » en écrivant sur « autrui » et sur les artistes. C’est ce que je constate en te lisant depuis deux ans… Et oui ça fait deux ans que nous échangeons… Et demain j’ai six ou sept ans, je ne sais plus, ça fait si longtemps…
    De Jérôme à Diego la boucle continue à grandir…

    A bientôt donc avec ce rappel de ces lignes que tu as écrites et qui doivent t’habiter toujours…
    « Je me suis aperçue que la littérature souffre d’un intellectualisme forcené où la tête commande à la main au lieu de lui obéir. Je sais désormais que pour écrire, il ne faut ni commander, ni obéir, mais suivre sa main qui sait, mieux que nous, se jouer d’une émotion pour en faire une jolie fleur dont on s’ingénie simplement à nourrir la terre. La raison est universelle, l’émotion n’appartient qu’à nous. Voilà ce que j’aime décrire, ce qui n’appartient qu’à moi, non par égoïsme, mais dans le but de découvrir ces émotions que nous partageons selon notre sensibilité. »

  3. Sherlock dit :

    je me dis en vous lisant, l’art appartient pleinement à la pensée, mais lui échappe complètement, le paradoxe me parait enrichissant

  4. touafon dit :

    Bonjour, ceci vous intéressera peut être : https://lesmenines.wordpress.com/

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