Watteau Jean Antoine (1684-1721)

Un club fermé, le club des 37, ceux des artistes qui ont vu leur vie s’arrêter brutalement au bout de 37 années, entre 36 et 38 pour faire large. La science médicale occidentale a transformé la vie en quantité mesurable, son aspect qualitatif est passé à la trappe. 37 ans chez ces artistes demandent des biographies plus fournies que ces gens qui terminent paisiblement leur existence au terme d’une longue vie fastidieuse et ennuyeuse.

Femme nue et couchée, 1715

Rappelons des noms : Raphaël (1483-1520), Watteau, Mozart (1756-1791), Chassériau Théodore (1819-1856), Van Gogh (1853-1890), Rimbaud (1854-1891), Toulouse-Lautrec (1864-1901), Modigliani (1884-1920). L’âge du Christ est dit être de 33 ans. Si l’on ajoute à ce chiffre les quatre éléments, on obtient 37, un chiffre magique, le cycle d’une passion. Tout ce que l’on ne peut caser dans une longue période, on le réalise dans une plus courte axée sur l’essentiel. Quand le temps est là, on le perd, quand on sait en manquer, chaque instant est précieux.

37 ans, l’âge de toutes les transformations. Jacques Elliott, « Death and Midlife Crisis », International Journal of Psychoanalysis1963 (idée reprise par Didier Anzieu dans le « Corps de l’œuvre » en 1981), affirme que c’est entre 35 et 40 ans que l’être connait une mutation. Il cite aussi Chopin (1810-1849) et Henri Purcell (1659-1695). Cet auteur nous parle de période, pas de cycle. Une période est comme une cassure, un cycle s’inscrit dans une continuité. Ceux qui appartiennent à ce cycle ont une créativité rapide et brillante. Ils ont peu de temps, ils vont vite. Ils ont l’esprit vif et une créativité presque immédiate. Ces êtres échappent à l’aspect laborieux de la vie. Leur œuvre, malgré la brièveté de leur vie, est considérable.

La sérénade italienne, 1710

L’époque connait des guerres et la misère sévit dans les campagnes ravagées, tout dans la peinture de Watteau respire joie de vivre, fête, espoir, pourtant on devine tout le désespoir et la tristesse d’un monde qui doit finir emportant avec lui ses enthousiasmes et ses peines. Watteau est réputé être le peintre inventeur de la fête galante, supposant le sens de comédie, théâtralité et divertissement, un monde idéal où l’idée prime sur la matière brutale. La femme se laisse aller à une nonchalance calculée pianotant sur les cordes de la sensibilité dont elle tire une large variation de mélodies. Elle ne s’offre pas, elle résiste en faisant preuve de la plus grande souplesse pour ne pas effaroucher son prétendant. Tout devient jeu comme si son rôle se cantonnait à cela. Sa force n’est pas tant sa beauté que sa grâce et sa façon d’en jouer. En somme, la femme est vouée tout entière à l’homme qui, en retour, rivalise de ruses balourdes pour lui faire savoir son amour. Un jeu charmant, mais un jeu grotesque rivant la femme au rôle de potiche dérivé du lointain amour courtois du Moyen-âge. Watteau peint des hommes aux traits enfantins et féminins, briser l’éloignement entre deux êtres.

La porte de Valenciennes, 1710

On trouve cela dans son œuvre. On y trouve plus. Derrière, tapie, la mort donne au regard une ampleur héroïque qu’on ne trouve que très rarement dans la peinture française du XVIIIè siècle. Ce mélange de comédie endiablée, mêlée de désespoir, une tragédie cruelle, se cultive chez les plus grands. Watteau ne se promène pas dans la frivolité du monde, mais passe par cette superficialité pour nous pousser jusqu’à ses limites. Le peintre nous transporte jusqu’à la mort galante. Il ne s’arrête pas sur un moment de son existence, sur une réalité qu’il veut universelle. Aucune anecdote, une vision artistique. C’est en vain qu’on chercherait la fête galante au moment où il la peint. C’est un monde qui lui paraît refléter au mieux ce qu’il observe. Pas une invention, la fête est un leitmotiv dans la peinture du Nord, flamande et hollandaise.

Le contrat de mariage, 1712

La fête galante ne se réduit pas à une réunion de personnes désœuvrées, un moyen de passer le temps en bonne compagnie en jouant de toute la superficialité du monde. Un art de vivre et un art de mourir. Deux êtres entre eux posent plus de problèmes qu’ils n’en résolvent. Sans un minimum de codes, les relations dégénèrent vite dans l’égoïsme du chacun voulant le mieux pour soi quitte à laisser le moins bien, voire le pire à l’autre. L’amour est un chemin pavé de tendresse, de passion, de jalousie et de haine. L’amour réunit tous les sentiments humains en les exacerbant. La fête galante nous fait entrer au cœur de l’humanité, un prétexte pour expliquer ce qu’est l’humain.

Quand on a quelque chose à exprimer, peu importe l’alibi. Toujours ce doigt entre le regard et ce que l’on voit. La fête galante est un créneau, pas une fin en soi. Dans une œuvre, quand il n’y a pas de mort, il n’y a pas de vie, ou bien une vie artificielle, juste pour amuser le regard, pas pour le retenir, pas pour le transformer. À force d’occulter la mort, on dépèce la vie de toute richesse et, pour le bal, il ne reste qu’une robe d’apparat, aussi magnifique soit-elle, il n’y a personne pour la porter. Si l’on ne trouve pas tout dans une œuvre, c’est qu’elle est ratée.

La gamme d’amour, 1717

L’éphémère est la tragédie de l’existence pour qui s’y englue, une toile tissée par un sentiment de médiocrité. Que fait-on en attendant la mort ? La question que se pose inlassablement Watteau le désespéré amoureux de l’évanescence du monde. L’insouciance est une pesanteur parce qu’elle est ignorance, alléger la conscience de ses légèretés, s’envoler juste assez pour virevolter sur les fleurs qui sont les siennes. Un concentré d’intelligence, de raffinement et de cruauté. Ce qui s’éparpille n’effleure que ce qui ne le touche pas. Une seule règle, ce moment de joie unique, illuminant notre être de volupté, c’est celui-là qui est porteur de tout ce que nous sommes, là où il faut frapper ses pinceaux ou sa plume, là où il faut puiser son inspiration.

Un homme est grand par ses paradoxes. La sottise est une limpidité de l’existence où chacun a sa place. Le paradoxe est partout. Nous ne savons rien de Watteau, tout ce que nous frôlons de lui s’évapore. On ne touche pas le feu, on effleure à peine la vapeur qui s’en dégage. Il se moque de ce qu’il fait parce que ce qui reste à faire est plus important. Il se croit toujours malade, la maladie est une excuse. Le peintre est effroyablement triste, presque faible, ses premières et dernières forces, il les met dans ses œuvres. Partout ailleurs, un secret, une fuite, une nature humaine déçue par tout ce qu’elle ne vivra pas. Watteau est un alchimiste, mais il ne veut pas le dire, le cacher à tout prix, un masque, il change le monde, pour se protéger, il ne le dit pas.

L’escarpolette, 1712

Une énigme vivante dans une époque où les énigmes ne sont pas bien vues, à l’aurore du Siècle des Lumières. Une lumière est censée émaner de l’humain par sa raison éclairant le monde. Plus rien ne doit échapper à la pensée et ce qui lui échappe, elle se hâte de le ranger dans une armoire avec une étiquette. L’homme est né à Valenciennes, la ville est cédée en 1678 à la France par les Espagnols. Louis XIV est en pleine guerre dans les régions du Nord. La guerre de Hollande est perçue comme une guerre de religion, un roi français catholique contre des régions protestantes. Peu importe, Watteau est un homme du nord, un pied dans la peinture flamande. Apparence fermée à l’extérieur, grand ouvert à l’intérieur. Son père, charpentier et maître couvreur, s’oppose de façon violente à sa vocation artistique, mais il ne cède pas. Garçon très sensible, il s’accorde mal à la brutalité de l’existence. Dès l’âge de 11 ans, il est en apprentissage chez un peintre. Il a besoin des rudiments, le reste est en lui. Un acte de baptême, sinon aucun document officiel ne mentionne Antoine. En 1702, il monte à Paris, il n’a rien. Le théâtre le fascine.

Gillot Claude Scène de ballet, 1706

Survivre, il doit faire de la peinture en série, un travail déprimant, éviter toute originalité, faire ce que des amateurs de petits souvenirs bons marché attendent. Il leur suffit de reconnaître quelque chose, le reste les ennuie. Il a le pinceau si aisé que tout glisse sur lui. Quelque part en 1704, coup de chance, il rencontre Claude Gillot de Langres (1673-1722), le jeune maître qui lui convient. Il introduit la commedia dell’arte, le théâtre, en peinture, une voie royale dans le devenir de l’art. Introduire l’artifice dans l’artifice accroit considérablement les chances de cerner la vérité du monde.

Gillot Claude Le tombeau de maître André, 1707

La commedia dell’arte a été interdite en 1697 par Louis XIV pour protéger sa maîtresse, madame de Maintenon (1635-1719), devenue une cible privilégiée pour sa bigoterie excessive. Des personnages revenant sans cesse, mais des situations qui s’adaptent, une arme de guerre, tomber entre leurs mains est dangereux, ils sont chassés de France (la comédie italienne revient en France en 1716). Ils subsistent dans les lieux populaires. Ni Gillot, ni Watteau ne les choisissent par hasard, ils sont le fer de lance de la critique contre les excès et les injustices, les trouble-fêtes mettant le doigt dans la plaie pour s’en moquer. Il y a un texte, seule compte l’improvisation, ce moment où chacun peut reconnaître son voisin, son patron, la femme d’un ami et, s’il en a le courage, lui-même. Sous des apparences galantes, Watteau place l’index là où ça fait mal, des situations limites avant que tout ne bascule. Ce qui le fascine, cet instant juste avant l’effondrement, le moment de calme avant la tempête, l’impression de l’immobile dans le mouvement du monde.

Gillot Claude Les deux carrosses, 1707

Le fond on le porte en soi, il faut lui donner la forme appropriée, celle qui donne la pleine mesure de l’expression. Gillot aime la fête et la théâtralité, il a le sens du comique jusqu’au grotesque. Les deux hommes partagent les mêmes tentations. Gillot lui offre tout ce qu’il peut et le révèle à lui-même même si, en un premier temps, le jeune apprenti, fasciné, ne cherche qu’à copier celui qui est pour lui un soleil, le jeu, les vêtements modernes, les sujets de théâtre et la mascarade. Gillot ouvre la porte, Watteau s’y engouffre. Quand Watteau devient un peintre, il doit quitter Gillot la rivalité inévitable. Vers 1709, grâce aux recommandations de Gillot, Watteau entre chez le peintre du roi, Claude Audran III (1657-1734) qui remarque immédiatement son art et sa rapidité.

Audran lui offre une vision ornementale à laquelle le jeune Antoine est sensible. Au Palais du Luxembourg où Audran travaille, il découvre Rubens qu’il « étudie avec avidité. » Son art est désormais au bout de ses pinceaux. Il a besoin d’indépendance, pour cela il veut un statut officiel. Il entre à l’Académie royale de peinture le 30 juillet 1712 sous les applaudissements, il stupéfie. On lui accole le titre de peintre des fêtes galantes, une expression alors peu courante paraissant le mieux qualifier son travail. Ce titre lui colle à la peau jusqu’à nos jours, un titre choisi, mais pas par l’artiste. Involontairement, Watteau inaugure un nouveau style de peinture qui fait fureur durant le XVIIIè siècle englobant les plaisirs oisifs des aristocrates. Un mythe qui n’est pas celui du peintre.

Comédiens italiens, 1720

L’intronisation à l’Académie s’accorde mal avec son esprit instable et tourmenté. La peinture de Watteau s’inscrit difficilement dans une histoire de la peinture tant son œuvre est originale, sans référence immédiate si ce n’est peut-être Gillot dont il va néanmoins vite se détacher. Une technique hors pair, une vision unique. Par la suite, il sera copié, mais en l’édulcorant, en gommant l’aspect ambigu et contradictoire qui fait son génie. Un destin à la Bosch, copié, mais en effaçant la profondeur de l’œuvre originale.

Il se sent incompris, on perçoit son aspect joyeux, on ne voit pas ce qu’il cache, il se sent comme coupé en deux, une face sociale et joviale, un envers ténébreux et morbide, un homme agréable doublé d’un caractère froid et triste, critique jusqu’à l’excès, libertin d’esprit, mais sage jusqu’à l’ennui, un esprit subtil et intelligent passionné de lectures, amoureux de musique, fréquentant les théâtres et l’opéra. Son jugement est celui d’un connaisseur subtil. Et il y a tout ce que l’on ne peut voir, le feu intérieur, des émotions intenses impossibles à contrôler, un marais aqueux, des désirs inavouables, une terre branlante, une assise à la dérive, un souffle grandiose se brisant dans le flux du ressentiment.

Rosalba Carriera Watteau en 1721

Il passe l’année 1720 à Londres où il travaille beaucoup. Le 21 août, de retour à Paris, il rencontre Rosalba Carriera (1675-1757), peintre d’origine vénitienne, excellente pastelliste, dont elle fait le portrait en février 1721, la seule image qu’on ait de lui. Watteau se sent de plus en plus mal, sa santé est fragile, moins qu’il le croit, ce que l’on croit l’emporte sur ce qui est. Il souhaite retourner à Valenciennes, il n’en a pas la force. Il s’installe à Nogent-sur-Marne en mai. Lui qui méprise l’argent, le voilà en proie aux soucis financiers. Il donne toute sa valeur humaine à un tableau, désormais il veut lui donner un prix comme une obsession comme si, déjà sa valeur humaine disparaissait. Il n’en a plus la force. Il meurt le 18 juillet, officiellement d’une maladie des poumons. On ne meurt pas de maladie, on meurt d’épuisement, on perd l’envie de vivre, tout devient impossible. On le dit perclus d’angoisses, l’exact opposé de la fête.

D’un trait adroit, retors et revers, il dessine ce qu’il croise. En esquissant, il entre dans son tableau dont il saisit les contours pour s’en imprégner. Il collectionne les types humains et leur visage où il puise quand il bute sur un personnage. C’est la rue qui nourrit ses tableaux. Une fois devant la toile, tout va vite. Il sait ce qu’il veut et le réalise sans peine. Cette facilité apparente tient au fait qu’il conçoit son travail dans sa tête. C’est après avoir vécu dans une toile qu’il la concrétise. Il n’est jamais satisfait de ce qu’il produit. Ce qui sort de sa main est inférieur à l’idée qu’il s’en fait. L’art se rêve et le rêve se casse sur ce que l’on en fait. Il faut vivre avec cette impuissance, un poison, une insatisfaction qui fait qu’on finit par se détester. Dans la tête d’un grand artiste, la mort est partout présente, il se joue d’elle et quand il finit par ne plus peindre qu’elle, elle devient invisible, il n’y a plus qu’elle. Il confère sa dimension héroïque à la frivolité de la vie.

Toilette intime, 1715

Il ne s’est jamais marié, on ne lui connait aucune maitresse, et n’a jamais eu aucun domicile fixe vivant chez l’un ou l’autre, une volonté farouche de n’appartenir à rien ni à personne, une révolution à lui tout seul. On le dit misanthrope. Un timide ? Pourtant, très social, il a des amis fidèles qui lui sont chers. Sa biographie est un casse-tête même pour ceux qui l’ont intimement connu. Il aime la vie retirée, se montrer le moins possible. Sa vie est contradictoire comme s’il fuyait sans cesse la clarté, non la clarté en soi, ce sentiment de tout comprendre même dans la pire ignorance. Il veut voir, il ne veut pas être vu. Ceux qui voient ne voient qu’une infime partie de ce qu’il y a à voir, une facette parmi de multiples. On leur montre un rire, ils voient le rire, ils ne voient pas derrière, de côté, en haut, en bas, il suffit de changer l’angle de vue pour tout modifier. Derrière le moindre geste insignifiant se terre l’humanité.

On ne réalise qu’une seule grande œuvre dans sa vie, soi-même, la condition ultime de tout le reste. En même temps qu’on se fabrique, on admet ses émotions. La vitalité est si dure à vivre qu’elle effraie plus d’un se terrant lâchement dans le creux du premier confort venu. Watteau gémit. Beaucoup pleurnichent pour attirer un peu d’attention à eux, lui s’en moque, il sait qu’il a tout mis dans son œuvre, il sait aussi qu’on ne le comprend pas, qu’on ne le comprendra peut-être jamais, il en souffre. Pourtant, dès qu’il ferme les yeux, la légende s’empare de lui. Mozart, Rimbaud, Toulouse-Lautrec et Van Gogh connaissent un destin similaire. Leur vie est insupportable, la mythologie adore ces tempéraments, elle les fait siens. À la fois une existence simple et des tourments inextricables.

Arlequin conteur de fleurettes, 1714

Une œuvre incroyablement novatrice en à peine une quinzaine d’années, un choc bouleversant. Un artiste à part, une exception devenant la règle. Une incompréhension devenant subitement compréhensible par tous. Un succès immédiat, la rançon du mythe. On le veut comme ça et cela suffit. Cinq ans après sa mort, ses tableaux ont acquis une valeur inestimable. Voir est la trahison de ce que l’on ne voit pas. Ce que l’on voit est une façon de nier ce que l’on ne voit pas, voir ce qui arrange, ce qui rassure, ce qui flatte, le reste passe à la trappe.

Un engouement pour un art de vivre, la fête galante, n’explique pas tout. Une époque reste par l’impression qu’elle suscite aux yeux des nouvelles générations. L’atmosphère de Watteau ne correspond pas à son époque, mais à l’idée qu’on veut s’en faire. La mort sous-jacente à toute son œuvre donne une dimension unique à son ambiance. Dès que l’on évoque la fête et la galanterie, on se trouve plongé dans un univers à la fois mièvre et fascinant. Convaincu de ces mots, on se plait à découvrir chez Watteau joie, plaisirs et bonheurs, en contradiction parfaite avec l’homme comme s’il voulait montrer ce que lui-même n’a jamais connu.

À l’origine, galanterie signifie la distance due par le respect de l’étiquette très importante à la cour. Les relations entre les individus sont régies par des règles strictes régies par la galanterie. La fête galante est donc l’antithèse de la fête, du laisser-aller. Les relations amoureuses sont limitées entre personnes de même qualité sociale. C’est pourquoi la fête de Watteau est jouée par des acteurs plus libres de leurs mouvements. Par les mensonges des acteurs, Watteau vise la vérité du monde. C’est l’exécution brusque qui donne ce petit côté frivole de l’œuvre. Comme chez Mozart, on est entrainés par un son évident sans en saisir la complexité, les contradictions. La puissance d’une œuvre réside dans ce que l’on peut en décortiquer.

La boudeuse, 1717

L’œuvre du peintre est aussi obscure que sa vie. Aucune œuvre n’est datée, ni signée, qui plus est aucun titre n’est convaincant. La plupart ont été donnés après la mort du peintre. Ayant fait du peintre un mélancolique, il est amusant d’opposer à la fête le chagrin de l’homme. Un homme n’est ni blanc ni noir, c’est ce que l’on semble découvrir avec Watteau. On voit combien un grand créatif échappe à la compréhension de ceux qui se targuent d’être spécialistes de l’art, professionnels du classement où chacun occupe son tiroir avec un beau ruban autour du cou.

Les plaisirs du bal, 1716

Un principe absolu, un peintre travaille sur ce qu’il voit, pas sur ce que nous voyons. Il ne peint pas tel ou tel personnage, une intuition qui vient du fond de son être. Mieux vaut ne jamais s’arrêter à ce que l’on voit. L’œil doit être une pelle, inlassable creusant, sans oublier que la richesse vient de la terre, pas de la pelle ! Il y a quelque chose d’indéfinissablement superficiel dans un tableau, des repères où se pose le regard. Ce que nous apprécions dans ce dédale de formes et de couleurs, sa profonde humanité. Plus l’image semble aller de soi, plus elle est profonde.

Des personnages sont assemblés dans de belles parures tout en restant simples, ils parlent, se courtisent, font de la musique et dansent. Ils sont abandonnés à eux-mêmes. Ils sont ensemble et essayent de partager ce qu’ils peuvent, ils sont seuls. Une gueule grande ouverte, immense, prête à avaler ce qu’elle peut. Des acteurs perdus dans un rôle qui les dépassent. Un artiste est englouti par sa création et, comme il ne tient pas à être dévoré à toutes les sauces, il choisit avec soin ce par quoi il veut être absorbé.

Arlequin empereur dans la lune, 1708

Arlequin empereur dans la lune pourrait être un tableau de Gillot, mais les personnages à gauche portent la marque de Watteau, une légèreté de l’être doublé d’une pesanteur du vide. Le Mezzetin tout à gauche ressemble à s’y méprendre au Mezzetin à guitare de 1719. Le tableau est très mal préservé. Les teintes vertes dominant le ciel sont une dégradation de la couleur originelle. Le titre de l’œuvre est tiré d’une comédie en trois actes de Nolant de Fatouville (Anne Mauduit de Fatouville), créée en 1684, une mystification d’Arlequin se déguisant en empereur aux dépens du docteur Baloardo pour épouser Colombine. Ici, Arlequin, dans une carriole, se fait passer pour le fils du fermier de Donfront que Colombine doit marier. Au moment de signer le contrat, le docteur s’aperçoit de la supercherie. Une œuvre de jeunesse montrant une scène précise que les connaisseurs peuvent facilement reconnaître.

Le rêve de l’artiste, 1710

Le rêve de l’artiste nous montre un peintre, peut-être Watteau lui-même, à côté de son chevalet en proie à ses obsessions. Quatre danseurs de la commedia dell’arte au premier plan et derrière, dans le ciel les personnages les plus célèbres. Arlequin, Scaramouche, Mezzetin, Pierrot, Colombine, Finette, etc. Un peu plus haut à gauche, la muse de l’artiste entourée de ses amours. On ne sait si le peintre est ébloui ou horrifié de ces images. Il devrait être ravi de cette vision, au lieu de ça, il paraît torturé. Veut-il souligner son impuissance à rendre compte des merveilles de son cerveau ? Ces images resplendissantes marquent également le tourment de l’artiste, sa plongée dans l’abîme où ses démons ont des formes angéliques décrivant les affres de la création, l’ensemble est génial, tout en équilibre et en force. La vie est invivable quand elle n’est pas une comédie. La comédie n’efface pas le malheur, elle s’en empare à bras le corps pour en faire une force. Toute l’œuvre de Watteau est là, on pare le malheur de comédie pour le rendre vivable.

La partie quarrée, 1713

La partie quarrée, datée vers 1713, est une œuvre particulièrement aboutie. Les deux femmes sont élégantes, minaudant devant un Pierrot à guitare alors qu’un autre personnage, Mezzetin, semble rêver dans son coin. Des personnages heureux de vivre dans une scène se passant à la tombée du jour. Le titre n’est pas de Watteau. Partie quarrée signifie partie entre deux hommes et deux femmes pour une promenade ou un repas. Sur la droite, une statue, un amour chevauchant un dauphin qui serait une allusion à l’impatience de l’amour. Une scène anodine avec des personnages de théâtre se comportant comme dans la vie. Le peintre ne nous impose aucune signification particulière. Il laisse libre-cours à notre imagination. Il peint les masques, à nous de savoir qui se cache derrière. Il nous entraine dans le jeu de dualités entre esprit et nature, ombre et lumière, vide et plein, etc. La mort triomphe, déjà les personnages sont les fantômes d’eux-mêmes. Un bout du monde avant le grand saut final. La vie exhibe quantité de choses qui n’existent pas vraiment, là est le rôle de la comédie, donner une image de soi, s’inscrire dans un rôle, se donner de l’importance, ajuster un sens, devenir un complément indispensable lors même que nous sommes des pantins désarticulés brinquebalés par l’existence.

Nous faisons ce que l’on attend de nous, la condition indispensable pour être accepté. La femme minaude, l’homme rêvasse, la femme se fait désirer, l’homme rêve de la conquérir. Une mécanique inéluctable, un engrenage diabolique, avec lui, avec elle, qu’importe, seul compte le jeu, c’est lui qui nous survit. Nous enfilons les vêtements du rôle à jouer, nous montons sur scène, nous offrons ce que le public est venu voir, c’est à nous seuls d’essayer d’exister un tant soit peu dans cette comédie dont nous sommes les subalternes. Nous pouvons nous arrêter à tout moment, crier de toutes nos forces, ceci n’est pas vrai, une simple apparence ! À quoi bon ? Hurler sa colère ne sert à rien si nous restons incapables de remplir notre vie de ce qu’elle est vraiment. Refuser de jouer, plonger dans le silence, l’impuissance, être rongé chaque minute davantage, autant se laisser aller au flux de la comédie, nous n’avons rien d’autre à faire.

Mezzetin, 1719

La simplicité est destructrice en nous réduisant à des banalités. L’être s’ingénie à s’embrouiller la vie, le moyen de donner un peu de hauteur à ce qui n’en a pas. Ce que je suis ne peut se réduire à des évidences. La vie humaine est une conquête de la complexité où chacun patauge allègrement en se voulant incompris. Plus l’être se sent baigné de dévoilement plus il entortille les cartes, changer les couleurs, ajouter des sentiments à ne plus savoir qu’en faire, placer des émotions partout. Deux êtres deviennent complémentaires tant qu’ils réussissent à camoufler ce qu’ils refusent de montrer. Watteau ne nous explique pas pourquoi ils mentent, mais comment. Il nous avertit, ne prenons pas tout au pied de la lettre, laissons notre imaginaire vagabonder.

Le Savoyard, 1716

Le Savoyard sourit. Sur une boite tenue en bandoulière, une marmotte. De sa main gauche, le garçon tient un hautbois pour faire danser l’animal. Les montreurs de marmottes sont fréquents dans les villes du XVIIIè siècle avides de divertissements. Ces jeunes gens venant souvent de Savoie, on les appelle pour faire court les Savoyards. Watteau nous présente un jeune homme rieur, heureux de vivre alors qu’il se trouve devant un village où il n’est que de passage. Il n’est pas indigent, mais on devine qu’il ne possède pas grand-chose, pourtant, il ne se plaint pas, tout chez lui respire joie et bonheur. Tout en lui est simplicité. Derrière, le village ne semble pas spécialement accueillant. La complication n’aime pas la simplicité venant la narguer simplement en étalant sa joie et sa liberté face à un monde enfermé dans ses comédies. Ce jeune garçon est un révolutionnaire, non avec de grandes théories ou un sentiment de révolte, d’injustice, voire de haine. La révolution, la véritable, est une façon de montrer qu’on peut vivre autrement là où les autres se croient immuables. Le révolutionnaire joue de la musique, le bonheur est à son comble, il fait danser le monde autrement, il change les habitudes ancrées en nous. Le destructeur des complications dans lesquelles nous sommes englués.

L’amour au théâtre français, 1716

L’amour au théâtre français, peut-être réalisé vers 1712, présente une scène simple. Sur la gauche, cinq musiciens et deux femmes en retrait, sur la droite, dans la lumière, neuf acteurs, cinq femmes pour quatre hommes. Une hypothèse crédible fait de cette scène la conclusion d’un intermezzo des Festes de l’Amour et de Bacchus, mis en musique par Lully, joué à Paris en 1706 et 1716, montrant la réconciliation entre Bacchus, l’acteur assis couronné de feuilles de vigne, trinquant avec Amour, Cupidon, reconnaissable à son carquois de flèches. Autour, on discerne Pierrot, Crispin tout à droite nous regardant et Colombine derrière les deux trinqueurs. Devant, une femme et un homme entament un pas de danse. La danseuse, juste à côté de Bacchus, se trouve au centre de notre attention, on attend d’elle quelque chose. Au-dessus, le buste d’une femme voilée à moins qu’il ne s’agisse de Momos, dieu de la raillerie et de la folie. Une action insaisissable, des gens qui fuient, un lieu de rencontre et de réconciliation, n’est-ce pas cela le théâtre de la vie ? Ces éléments existent à foison, ce qui leur manque, une scène pour se réunir. Un véritable artiste peut-il prétendre à autre chose qu’à rassembler en un endroit réduit tout ce qui anime son existence ?

Pèlerinage à l’île de Cythère, 1717

Le pèlerinage à l’isle de Cythère est réalisé en 1717. Cythère est une petite île grecque réputée, dans la mythologie grecque, être le lieu de naissance d’Aphrodite, déesse de la fertilité, de l’amour et des plaisirs. On ne sait s’il s’agit d’un départ ou d’une arrivée, mais il s’agit plus vraisemblablement d’un départ puisque les derniers personnages, les retardataires, sont encore en train de se conter fleurette alors qu’un petit Amour tire la femme par sa robe pour lui annoncer le départ imminent. À leur gauche, un couple se lève, prêt à suivre les autres participants du pèlerinage. Que des couples s’échangeant des mots doux. Du bateau tout en bas qu’on ne voit pas s’envole une flopée de petits Amours donnant le ton à l’ensemble. Un monde idyllique fait de hauts et de bas que s’ingénie à suggérer le peintre. L’hésitation que l’on note chez certains visages s’explique par le fait que l’amour se rêve, mais ne se réalise pas, une fois réalisé, il s’achève. Les moments de bonheur, on voudrait qu’il dure toute la vie. C’est pour faire durer l’amour que tous embarquent à Cythère. L’amour est secondaire, seul compte les ébats amoureux qui sont le prélude à un état de grâce dont on veut sans cesse reculer l’achèvement. Les pruderies de la femme ne sont pas une comédie pour attiser l’érotisme de l’homme, une stratégie pour faire durer le plus longtemps possible ce qui a pourtant une fin. L’homme est inconstant, c’est à la femme de faire durer la passion.

Embarquement pour Cythère, 1718

L’Embarquement de Cythère, une nef resplendissante emmenant des couples amoureux dont on perçoit déjà le terrible désenchantement, non le bateau de l’amour, l’embarcation de Charon charriant des âmes en peine, des ombres à travers le fleuve Achéron vers le pays des morts. La fin de l’amour n’est-elle pas le début de la mort ? Autant la promesse d’un pèlerinage est hors du temps, autant ici, on voit les choses sous un angle pratique, le bateau. Sinon le reste ressemble au premier tableau. On voit pourquoi les derniers couples trainent la patte, ils ne sont pas pressés d’aller au bout de leur rêve. L’immense génie de Watteau est de ne rien nous imposer et de nous laisser imaginer les conséquences éventuelles de ce qu’il montre. Nul n’est censé voir la mort au bout du voyage, une possibilité qu’on chasse d’un revers de manche. Malgré tout, les retardataires ne semblent pas si pressés d’embarquer. Quelque chose les retient comme s’ils savaient déjà ce qui va se passer. Nous pouvons le pressentir, à nous de le dire, ou non. Watteau nous plonge dans une eau profonde, mais ne nous oblige pas à aller dans le fond. Le spectateur, préférant rester au bord, est le bienvenu. Nulle contrainte, un choix, le nôtre. Le sens de la traversée n’appartient qu’à nous.

La danse, 1720

Watteau ne représente jamais de personnes âgées. Son univers est enfantin parce que le monde du spectacle, même si ses acteurs sont âgés, est un jeu auquel seuls des jeunes peuvent se livrer. La danse, réalisée sans doute en 1720, met en scène des enfants, deux jeunes filles et deux jeunes garçons dans des rôles de grands. La jeune fille debout nous regarde comme pour s’assurer de notre attention avant de se lancer dans un pas de danse au son d’une flûte. Guère de différences avec le monde adulte. Nous sommes tous des enfants de la vie, mais vient un moment où nous usurpons un rôle. Loin derrière, un village, le monde des gens responsables, un berger guide son troupeau de moutons vers les pâturages. Un monde mort, le vrai guide est la comédie.

Pierrot, 1719

Le Pierrot, le favori du peintre, placé en hauteur, se tenant droit presque maladroit, nous regardant, est l’œuvre la plus connue du peintre. Il s’agit d’un roi, les autres personnages sont à ses pieds. Un autre personnage dont on ne voit qu’un seul œil nous regarde, un âne. Il s’agissait peut-être, à l’origine d’une enseigne réalisée pour l’acteur Belloni reconverti en cafetier dont il aurait ainsi réalisé le portrait. Cela n’explique pas pourquoi nous sommes fascinés par ce tableau. Cinq hommes dont un, à gauche, monté sur un âne, un mâle par la façon qu’il a de nous toiser. À droite, un homme en rouge essaye de tirer l’animal refusant de quitter son emplacement dominant. Ce tableau est une allégorie de l’homme et du pouvoir. Voici le roi du monde, un Pierrot lunaire. Naïf et roublard, passif et violent, moqueur et triste, complaisant et entêté, sérieux et bouffon, le visage du Pierrot exprime tout à la fois ces émotions sans en souligner aucune, comme un enfant. L’homme est une bouilloire sise sur le feu, il manque la femme pour que tout se révèle à sa vraie valeur.

L’enseigne de Gersaint, 1721

Dernier tableau connu, L’enseigne de Gersaint, pour lequel nous possédons plus de précisions. C’est Watteau lui-même qui insiste auprès de son ami Edme-François Gersaint (1694-1750), marchand de tableaux et d’estampes, pour peindre une enseigne. Comment concevoir la peinture de l’un des plus grands maîtres de la peinture française pour servir d’enseigne ? Tout l’univers du peintre est là, une ambiance poignante malgré l’absence d’événements. Nous nous trouvons dans une rue, la botte de foin sur la gauche en fait foi de même que le chien à droite. Mais il n’y a aucune devanture, aucune séparation entre le monde réel et le monde de l’art. Le personnage tout à gauche avec une canne manifestement ne fait pas partie du même monde, un lointain spectateur. Onze personnages sont dans le magasin, dont quatre femmes. Onze personnes en quête d’images. À gauche, une femme regarde un portrait de Louis XIV qu’elle vient d’acheter, une époque achevée sept ans plus tôt. Allusion au fait que Gersaint appelle sa boutique : « Au grand monarque. » La nostalgie d’un âge qu’on veut meilleur. Watteau se moque du passé, il est obnubilé de présent. Un homme à côté d’elle semble lui avoir fait ce cadeau. Il est impossible d’identifier les différentes peintures accrochées au mur, mais il s’agit d’œuvres de maîtres reconnus, plus un musée qu’un commerce, un espoir que Watteau a de bonnes raisons de croire réalisé puisque son travail est reconnu. Des personnes de qualité admirant des peintures, rien ne peut mieux ravir Watteau se sachant à la fin de sa courte vie. Ne veut-il pas aussi de moquer de lui-même ou de Gersaint ? D’ailleurs les trois personnages à droite plus la vendeuse tournant le dos aux peintures contemplent ce qui ressemble plus à un miroir qu’à un tableau. Rien n’évoque la mort dans ce tableau, le mort est là, Watteau lui-même. Une enseigne est faite pour attirer les connaisseurs, ils ne cessent d’affluer.

Diane au bain, 1721

Une œuvre explore ses richesses, tant qu’elle sent un souffle l’animer, elle repart à l’assaut. Vient un jour où le souffle si chèrement exploité jusqu’au fin fond de ses entrailles s’épuise. Quand on a connu le bonheur immense, un sentiment d’abandon est insupportable, invivable, il est temps d’explorer de nouveaux horizons. Les créateurs sont des personnes courageuses se laissant entraîner à leur propre folie, l’intensité du moment. Ils avancent tant qu’ils peuvent, vient un jour où il faut s’arrêter. Tant va la cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise, tant va Watteau qu’à la fin il se noie, pour notre plus grand bonheur.

Comments
22 Responses to “Watteau Jean Antoine (1684-1721)”
  1. hum oui le peintre que tu décris c’est comme à fin dune période les artistes qui modifiés leurs pratiques .

    Les créateurs sont
    des personnes courageuses se laissant
    entraîner à leur propre folie, l’intensité du
    moment. Ils avancent tant qu’ils peuvent,
    vient un jour où il faut s’arrêter. Tant va la
    cruche à l’eau qu’à la fin elle se brise, tant
    va Watteau qu’à la fin il se noie, pour
    notre plus grand bonheur.

  2. Jean-Louis dit :

    « Otez à Watteau ses sites, sa couleur, la grâce de ses figures, de ses vêtements, ne voyez que la scène et jugez » Denis Diderot

    On peut ne pas être d’accord avec l’analyse de la peinture de Watteau faite par Céline, mais il reste ses phrases définitives… « Que fait-on en attendant la mort ? Ce que l’on croit l’emporte sur ce qui est… On ne réalise qu’une grande oeuvre dans sa vie, soi-même, la condition ultime de tout le reste… Voir est la trahison de ce qu’on ne voit pas… La vie est invivable quand elle n’est pas une comédie… »

    Et par ces phrases et quelques autres on est bien obligé de juger que Denis peut se tromper…

    • cieljyoti dit :

      malgré toute mon admiration pour l’écrivain, le jugement de Diderot en matière d’art est loin d’être infaillible. mais vous avez raison de donner cette citation qui reste très belle. merci beaucoup pour votre commentaire

  3. Oui : par ces phrases, on est aussi bien obligé d’admettre l’excellente beauté litéraire de cette critique d’art ! Bravo !

  4. oui espérances que l’on se souviennent de leurs oeuvres aprèsleurs mort importante attitude

  5. Pouvez-vous me dire d’où vient le tableau de Claude Gillot intitulé dans votre article « Scène de ballet » et daté de 1706 ? Est-il visible dans un musée ?
    Ce tableau pourrait correspondre à une évocation de Diderot dans les Essais sur la peinture, je voudrais voir s’il est possible que Diderot l’ait vu.
    Merci.

    • cieljyoti dit :

      je dois avouer que je n’ai pas vu Gillot par rapport à Diderot. parce que je ne veux pas vous donner une information fantaisiste, je vous donne ma réponse ce mardi

      • Stéphane Lojkine dit :

        Gillot était né à Langres, comme Diderot, celui-ci ne pouvait pas lui être indifférent…
        Merci pour toute information, même partielle !

      • cieljyoti dit :

        désolée pour mon retard à vous répondre, mais j’étais en déplacement pour mon travail, sans pouvoir consulter mes archives. la Scène de ballet est un tableau attribué à Gillot. il est fort probablement de lui, mais un doute plane. Si ce tableau est effectivement de Gillot, il n’y a aucune raison pour que Diderot ne le connaisse pas même si, bien entendu, il est impossible de le prouver. le tableau, une huile sur toile, fait 43 x 53 cm. il se trouve actuellement au musée national des Beaux-Arts d’Alger Inv. 2485 IG. une chose me parait intéressante à souligner. d’après les témoignages, Gillot n’est pas un homme de terrain. il rechigne à se déplacer, il n se plait que dans son atelier. ses œuvres sont imaginaires que ce soit une scène italianisante ou de théâtre. or Diderot n’a jamais rencontré le succès escompté de son vivant. les deux hommes cachent sans doute un même sentiment de déception (la non-reconnaissance), une même aigreur. beaucoup donc les rapproche. deux hommes ayant beaucoup de choses à se dire même une fois finis les potins de Langres. malheureusement, Gillot est resté dans l’ombre. le graveur est resté, pas le peintre dont les rares toiles sont pourtant exceptionnelles. je crains que la Scène de ballet ait été enfoui en quelque recoin au temps de Diderot. évidemment, je n’en sais rien

  6. Stéphane Lojkine dit :

    Merci beaucoup pour ces informations. Je vais essayer d’entrer an contact avec la directrice du Musée des beaux-arts d’Alger. Peut-être sait-elle où le tableau se trouvait dans les années 1760? Malheureusement l’adresse mail indiquée sur le site du musée ne fonctionne pas.

    Diderot écrit : « J’ai vu un Arlequin ou Scaramouche de Gillot dont la lanterne était à un demi-pied du corps ». C’est cette lanterne qui m’intrigue.

    • cieljyoti dit :

      suis curieuse, si jamais vous obtenez des infos intéressantes, soyez assez gentil pour me les faire parvenir. Gillot, amateur de diableries et de théâtre, m’intrigue beaucoup. merci d’avance

  7. thierry dit :

    Bonjour,

    La mort présente dans l’œuvre de Watteau ? Certainement. Mais sa présence est inertie jusqu’à l’étouffement. Ainsi elle ne nourrit et ne traduit aucun dialogue avec le vivant qui serait de l’ordre de la stimulation créatrice. Á aucun moment elle n’invite à cette transcendance de la matière qui accepte de s’ouvrir – de mourir – aux lumières de l’esprit, à cette expérience qui est joie pure, émergence à une conscience régénérée pour celui qui ose le saut dans l’inconnu, qui ose le lâcher prise total des liens à l’existence… pour mieux renaître à lui-même, qui ose cette mort qui est transformation, transmutation de tous les instants, principe d’éternité qui projette l’être hors du temps linéaire.

    La mort qui hante les tableaux est celle d’un être qui n’ose pas justement, n’ose pas dire son désir par exemple, simplement, ouvertement, naturellement. Tout n’est que contorsions, jeux de masques et …mascarades d’un masculin en proie à sa propre animalité. Vous parlez des codes de comportements. Watteau, tel un buvard, comme pour sa technique et ses références artistiques, a absorbé les codes de son temps, ceux de la bienséance, des conventions sociales, du « bon goût », de l’ « esprit », – la Commedia dell’arte – mais pour mieux les investir et libérer les démons intérieurs qui le taraudent et qu’il ne saura pas maîtriser. L’ « esprit » n’a abouti à aucune …spiritualité digne de ce nom. Il n’a fait que servir de caution à une lubricité magnifiquement (il faut le reconnaître) voilée, la même que celle d’un Ronsard dans son Ode à Cassandre « Mignonne allons voir si la rose… ».

    Comme vous l’avez très justement observé, il n’y a dans son œuvre aucun échange affectif, aucuns regards amoureux qui se croisent, et pour reprendre votre expression, la femme est réduite au rang de potiche… Car c’est bien tout ce qui a été compris des rapports des sexes : l’amour est totalement absent. Plane un désir sourd, pesant qui impose sa domination aveugle, obsédante et tétanisante en interdisant les épanchements des cœurs, l’accès à la sphère de l’intimité, celle qui prépare la fusion de l’esprit et du corps… Tout ici n’est que froideur glaciale des sentiments, vent de mort que le destin du peintre viendra entériner de manière concrète, revanche d’une matière inexplorée dans ses ressorts profonds, ses lois, ses … codes.

    Ne voyez dans mes propos aucun jugement à l’égard de Watteau qui reste sublime dans son art. Il ne s’agit là que d’un constat, celui d’une culture, d’une civilisation qui peine à s’ouvrir aux mondes intérieurs, qui tourne en rond dans un matérialisme stérile, et qui finalement s’ennuie profondément. La société est encore engluée dans des structures castratrices : les notions de « pouvoir », d’ « ordre » ne servent qu’une minorité. La tête – ici le principe monarchique tel qu’il a été vécu – est coupée du corps, social d’abord – réalité symbolique d’un système manifestée par la froideur implacable … de la guillotine quelques générations plus tard ! –, en miroir à la relation que les êtres entretiennent avec eux-mêmes, et en l’occurrence avec leur féminin.

    Mais il est vrai que, sur un plan temporel, Freud est encore loin qui ouvrira la voie à la psychanalyse.
    Quant au plan spatial, l’Orient et les enseignements du Tantra – l’Union des Polarités …

    Bravo pour le foisonnement de vie qui jaillit de vos écrits.

    Et oserais-je dire … avec toute mon affection

    • cieljyoti dit :

      merci infiniment pour ce passionnant commentaire offrant une dimension critique à l’œuvre de Watteau, mais qui a peut-être, à mon sens, le défaut d’être un peu moderne. en fait, introduire cette modernité chez un peintre du XVIIIè siècle révèle à quel point sa sensibilité nous touche toujours avec force. quoi qu’il en soit, tout ce que vous dites mérite largement d’être lu et réfléchi. merci encore

      • thierry dit :

        Bien sûr que « quelque chose » – cette sensibilité que vous évoquez – a initié la réflexion et a donné l’envie d’approfondir le regard. Mais comment porter ce regard autrement qu’avec les yeux de la modernité ? S’en tenir à celui des contemporains du peintre qui apparemment n’ont vu que leurs propres fantasmes – je pense aux amours édéniques d’une Cythère idéalisée – c’est passer à côté du drame intérieur vécu par l’artiste, qui est palpable dans chacune de ses toiles. C’est même manquer de compassion envers ses souffrances. Il ne s’agit pas de les cautionner, car elles ne résultent que d’un aveuglement aux réalités de l’âme. Simplement voir les choses de manière lucide et poser la question du type d’art que l’on souhaite.

        J’ai personnellement le sentiment que Watteau a tout bonnement (pour rester dans une terminologie moderne…) « instrumentalisé » son talent pour servir de toile (!) à ses désirs qui tournaient à l’obsession : un érotisme formulé dans le langage (les « codes ») accepté par son époque. En cela, il n’élève pas l’esprit du spectateur, mais au contraire l’entraîne dans son marécage intérieur. Et une fois que le regard s’est éveillé à la présence de la mort (et c’est vous qui m’y avez conduit, je vous en sais gré…), il ne voit plus que cela. Or comme je l’ai écris, cette mort est inerte, car n’entretenant aucun dialogue avec la vie. En cela elle est inintéressante. Du coup la beauté de ses œuvres en devient mièvre et sans vigueur.

        Personnellement, Watteau m’aura permis d’apprécier « la marche du monde » : voir d’où l’on vient, de quelle « qualité d’être » nous émergeons, apprécier le chemin parcouru par lequel – petit à petit – la lumière est jetée sur les méandres de la psyché humaine. Il demeurera une étape dans l’évolution de l’Occident. Mais avec le recul, et surtout une Modernité qui nous permet de relativiser la pensée par l’apport de l’héritage spirituel de l’Orient, l’envie est de tourner la page…

        L’Art remplit sa fonction quand il participe aux conquêtes de l’Esprit.

      • cieljyoti dit :

        merci pour ces intéressantes précisions offrant une vision personnelle sur une œuvre universelle.

  8. Thierry dit :

    Je ne me serais pas permis de proposer ma vision du personnage et de son œuvre (surtout dans une formulation qui a pu vous sembler parfois abrupte) si je n’avais eu la possibilité de m’appuyer sur des clefs de lecture … universelles. En l’occurrence l’astrologie, qui comme la musique (et la peinture !) fait partie du patrimoine mondial, quelle soit chinoise, hindoue ou européenne. Qui plus est, depuis les prêtres de Chaldée, celle-ci s’est considérablement enrichie, que ce soit par le biais de l’astronomie (la découverte de nouveaux corps planétaires), l’informatique (la fulgurance des calculs), et surtout la psychologie qui lui a donné sa véritable dimension humaniste. Le temps est loin où Saturne était réduit au Grand Satan et Mars à une brute sanguinaire.

    Et je suis sûr que vous savourerez tout autant que moi quelques traits du tableau (!) qu’elle révèle de « Sieur Jean-Antoine Watteau né en ce jour du 10 octobre de l’an de grâce 1684 à 4h00 du matin en la noble cité de Valenciennes » …

    Le Soleil d’abord, à 17° de la Balance – l’affirmation personnelle (!) d’une esthétique, d’un principe d’harmonie, d’un mode relationnel – est conjoint à Eros, un astéroïde qui renvoie au mythe.
    NB Quelques données techniques sont inévitables. Á défaut de vous être utiles, elles vous permettront de croiser mon interprétation avec celles d’autres astrologues autour de vous le cas échéant et de constater l’ « universalité » de l’approche …

    Au sens le plus fondamental, Eros est celui qui éveille le désir de l’Union. Il est l’Esprit qui invite la Matière à s’abandonner, à s’ouvrir et accepter d’être transformée par l’Amour.
    Cette Matière dans le mythe est incarnée par Psyché et le chemin initiatique qu’elle devra suivre pour le retrouver. Par là elle sera amenée à se purifier pour vivre cet amour dans toute sa beauté et toute sa … vigueur. Ici, l’Ego n’a plus sa place.

    Or dans le thème, Eros/Soleil est à 90° de Psyché /nœud sud de la Lune en Capricorne d’une part, et à Pluton/nœud nord en Cancer de l’autre.

    90° c’est l’angle droit, la rectitude, la tension créatrice. C’est le principe de résistance et ses exigences : pour pénétrer la Matière, le Réel, il faudra décoder (…) ses Lois plutôt que de la contraindre (même par la séduction – arme typique de la Balance) et la violer. Sans quoi menacent la rupture et l’effondrement.

    Eros/Soleil en Balance, c’est la liberté d’être, ici celle de peindre – proposer – son propre tableau du plaisir et de la relation à l’autre. Psyché en Capricorne c’est la capacité d’engagement envers cet autre, de façon mûre et responsable. Pluton en Cancer c’est la … Mort … permanente … à soi-même : se dissoudre pour fusionner avec l’Autre, percevoir ses besoins, à ses attentes, ses motivations, et renaître à une autre dimension, celle de l’Un en l’Autre, en s’abandonnant à ce troisième élément qui orchestre toute relation : l’Amour et ses aspirations.

    Premier défi donc : conjuguer ces forces.
    Sans quoi Eros/Soleil sera fantasque, volage – incapable d’engagement –, timide par manque de « construction intérieure » et de l’assurance qu’elle procure – le Capricorne –. Psyché, elle, refusera d’entreprendre son chemin initiatique, restera campée sur ses positions, une conception propre – unilatérale donc limitée – des échanges et n’évoluera pas. Pire, en s’enfermant ainsi dans sa tour d’ivoire, c’est aux invitations de l’Amour – Eros – qu’elle fermera sa porte, se privant de cette lumière solaire qui ne demande qu’à répandre sa douce chaleur et voir fleurir la vie autour de lui. Par peur de l’inconnu, de perdre le contrôle, l’être restera dans les conventions, la norme, l’existence devenant terne, monotone, sans joie. L’enfermement deviendra étouffement.

    La carré à Pluton en Cancer, tant qu’il n’est pas intégré, signe quant à lui une totale insensible à la réalité de l’autre et à cette voix intérieure qui voudrait proposer un chemin d’accès au monde de l’amour : la voie du cœur. Ce sera alors la fuite dans le rêve et les illusions. L’absence d’intériorité figera le regard sur la façade : le corps. Ainsi poindra le danger de vampiriser la puissance de vie dont cet autre est dépositaire, ne sachant fusionner avec elle. C’est alors l’enfant capricieux et boudeur centré sur ses seules envies qui refuse de grandir. Paresse psychologique synonyme de torpeur et d’apathie. Immanquablement, les sens se révolteront, la tension montera. Les frustrations dégénéreront en violence. L’agressivité refoulée sapera les fondements de l’être.

    Ce rapport de Soleil/Eros sur Psyché et Pluton en conjonction aux nœuds lunaires avertit sans ambages que ces défis seront l’axe de sa vie.

    Á cela viennent s’ajouter des risques d’obsessions – … érotiques – auxquels d’autres aspects du thème vont donner une dimension paroxystique.

    Il est question ici de la Lune Noire – Lilith dans le Judaïsme ou la Méduse de la Mythologie grecque – dans ses trois aspects, vrai, moyen et corrigé.

    La Lune noire moyenne (LNM) marque la quête d’Absolu de l’être, la vision édénique qu’il va s’attacher à retrouver dans une incarnation. Elle est ici à 7° du Taureau en maison VIII, la maison du Scorpion.
    Le Taureau, c’est la Vie, le Plaisir par le corps, les 5 sens. Avec la maison VIII, l’Absolu prend le visage d’une montée en puissance par la fusion des énergies qui animent les êtres. Les limites se dissolvent, un vertige emporte la conscience vers l’Infini. C’est l’Alchimie sexuelle et la transmutation de la Matière. Mais encore faut-il en accepter le principe : mourir à Soi pour renaître par et à travers l’Autre et ainsi abolir les limitations du corps. Or là, le « tableau » dévoile une opposition catégorique que le peintre devra dépasser – catégorique car astronomiquement parfaite, avec donc un potentiel de complétude à la mesure pour qui en comprend les enjeux : la Lune à 7° du Scorpion.

    En clair, l’attitude première est : « Pas question de lâcher prise, de mourir à l’autre ! ». Autre, qui, avec la Lune, prend le visage de la Femme, celle-là précisément qu’il refusera toujours … d’ « épouser », fuyant l’Union : « Pas question de voir mon schéma intérieur bousculé, remis en cause par un autre … regard sur la vie, sur le monde ». Il passe ainsi totalement à côté de l’enthousiasme revigorant d’une vision commune nourrit de motivations partagées. (Quinconce 150° LNM/Jupiter). Au contraire, une peur tétanisante s’empare de l’être : c’est l’Ego qui sait qu’il est face à la Mort, mais ignore qu’elle est le chemin de la Renaissance vers « plus d’être », bien sûr, toujours à travers l’autre (quintile 72° Lune noire corrigée /nœud nord) ! L’idéal devient alors arrêt sur image, celle d’une quête personnelle (!) de l’Orgasme, conçu en solitaire, de manière unilatérale, soumise aux appels de sa propre chair et sourde à la vie qui palpite et frémit dans celle de l’autre. Alors que la Lune en Scorpion (planète et signe d’Eau) invite à s’abandonner aux flots de la vie, à plonger dans le « miroir » de l’autre pour, tel Narcisse, en sortir transfiguré, l’être se cabre, se crispe, se rigidifie, l’âme se sclérose – Le Taureau, signe de Terre de la Lune Noire –. Et par tous les moyens il tentera de plaquer cette image fantasmée pour l’y contraindre sur son vécu. Bras de fer avec l’existence dont personne, on s’en doute, ne sort jamais vainqueur.

    Bien sûr que tout ce scénario des profondeurs de la psyché prend avec Watteau une dimension esthétique hors norme, sublime même, tant la Lune noire touche à la quintessence de l’être. Et les trigones (aspects de 120°) sur la triplice Saturne/Mars/Vénus, elle-même en sextile (60°) au couple Lune/Mercure et en décile (36°) à Soleil/Eros, montre toute l’aptitude à projeter sur une toile son univers intérieur dans les moindres nuances.

    Cependant, dans un langage moderne (…) et avec la crudité – non travestie – qui apparaît dans le thème, l’intention est claire : « Je me fait mon film, et plus il est beau, fin, délicat, et plus … je bande !! ».
    De là la perpétuelle insatisfaction devant ses propres œuvres : « Toujours plus fort»….
    Á un doctorant en histoire de l’Art en mal de sujet pour sa thèse, l’on pourrait très bien suggérer « Watteau, précurseur du Porno chic » tant les motivations sont confuses, voire glauques. Du coup au vu de l’importance de l’industrie du sexe dans l’économie mondiale, l’œuvre de Watteau prend effectivement une dimension planétaire …

    Je ne sais pas ce qu’il en sera pour vous, mais je suis sûr que Watteau, lui, me pardonnerait ce type d’humour, tant il a à mon sens encore besoin d’être compris. Ses fantômes et ceux de son siècle hantent toujours notre mémoire collective : jamais les gouvernants n’ont été à ce point perdus dans leurs propres délires de pouvoir et de … jouissance, à l’image de l’évolution culturelle de la société – la « tête coupée du corps…social » –, et jamais les Français n’ont consommé autant d’anxiolytiques et autres psychotropes, autre performance à dimension planétaire, Commedia dell’arte du vide existentiel à laquelle il est certainement temps de mettre fin.

    Voir Watteau dans sa réalité, c’est le réintégrer dans le jeu de la vie, dans la dynamique de l’âme qui de toute éternité guide l’être vers la pleine réalisation de lui-même. C’est le libérer et c’est nous libérer. Alors la page se tourne d’elle-même, dans la paix. Ne reste que l’Art dans toute sa splendeur, un art libéré des affres de l’Ego pris au piège de sa propre toile, un art « qui participe des conquêtes de l’Esprit »… dans toute sa clarté lumineuse, vivante et vibrante.

    Et c’était bien là l’issue qui se proposait à Watteau dans son thème pour défaire son nœud psychotique : sa Lune Noire Vraie (LNV) en Bélier nous parle du pouvoir d’initiative, de cette spontanéité franche, droite, claire, audacieuse, dont il aurait été capable dans la rencontre avec l’autre, de l’honnêteté et la loyauté, du courage du désir qu’il aurait pu très bien canaliser ouvertement (trigone LNV/Part de génie + biseptile/Psyché +quadrinonile/Jupiter) – plutôt que de les projeter dans ses toiles – s’il avait intégré les notions d’ « échange » et de « partage », et compris qu’un être n’est pas une individualité – avec des intérêts propres –, mais un maillon dans une trame relationnelle, que ce soit au niveau de l’organisme biologique (les liens des cellules qui composent cet ensemble) ou de l’organisme – le corps – social, avec , à chaque niveau, des intérêts communs, « partagés » (opposition LNV à Junon/Quaoar en maison II).

    (NB Si le concept d’un « art vibrant des feux de l’esprit » vous interpelle, je vous invite à explorer les maîtres de l’Asie, tels Liang Kai et Shen Zhou pour la Chine, Ôkyo Maruyama pour le Japon, qui plongent tout spectateur suffisamment humble et sincère dans la seule attitude possible, celle du silence – rayonnant – de l’Être. Mais il faudra alors « mourir à son Blog »… Sinon, en plein XVIIIè siècle français, un être s’en approche : Nicolas de Largillière, dont l’âge, pulvérisant l’espérance de vie de son temps, parle à lui seul de la maîtrise d’un esprit qui a su pénétrer la matière – 89ans …)

    Mais certainement est-il encore bon de jeter un peu plus de lumière sur le « défi Watteau » avec quelques exemples concrets tirés de ses tableaux. J’irai au plus court.

    La Fête de l’Amour d’abord. La tableau est composé de personnages qui badinent et folâtrent autour du seul couple ne partageant pas ces plaisirs insouciants : une femme repousse les avances certainement un peu trop pressantes d’un homme. La statue nous montre Cupidon privé de ses flèches. « Pourquoi n’y ai-je pas droit comme les autres ? » gémit l’enfant capricieux. Ne comprend-il pas qu’il faut grandir ? On peut s’amuser, jouer en amour, soit. Mais en respectant l’autre, en convenant ensemble des règles du jeu, et non en petit égoïste, tricheur de surcroît qui s’en moque.

    « Bon, puisque c’est comme ça, je boude et retourne dans ma coquille » : Le Rêve du Peintre … La position du dormeur semble inconfortable. Il paraît agité. Tourmenté ? Aucune fuite n’a jamais apporté la paix …

    Autant alors continuer le rêve éveillé : ce sera le « Mezzetin ». Regard vide, perdu, introverti. L’être est refermé sur lui-même. Il est face à un mur, seul avec sa complainte. L’Autre n’est plus qu’un idéal figé … statufié, ombre sans vie. N’ayant jamais eu le courage de l’aborder ouvertement, honteux peut-être de ses propres motivations, il ne reste plus de lui qu’une figure … de dos.

    De dos toujours – le regard lâche du voyeur – dans l’Enseigne de Gersaint, la figure qui fait contrepoint à toute la scène. « Ne voulez-vous pas entrer dans notre monde, Belle Dame ? » Univers composé … d’arrêts sur images, fantasmes qui hantent les inconscients d’une société coupée du réel – de l’homme de la rue … – et qui s’ennuie, fuit dans les plaisirs faciles et illusoires, les Cythère et autres paradis oniriques où la vie se consume. (Conjonction Cérès/Neptune en sextile à LNC et sesqui carré Soleil/Eros – Nœud Nord).

    Et quoi de plus facile, insouciant, léger, anodin et … coquin, prélude à tous les échanges, que … L’Escarpolette.

    Notons au passage que la Nature chez Watteau n’est en rien l’insouciante pastorale à laquelle certains ont voulu le rattacher. Encore moins l’Intelligence du monde, la présence d’un Ordre supérieur, transcendant, tel qu’il peut apparaître chez les Flamands (Jan Bruegel l’Ancien par exemple) et qui est contact avec l’Essence des choses. Le potentiel était pourtant là – en lui – d’un retour à l’essentiel, l’occasion d’une régénération des sens, et plus précisément avec Neptune et Cérès en Verseau, celle du jeu social. Il aurait ainsi pu guider les regards vers le Sacré et les Mystères de la Vie, l’authenticité d’un amour qui abreuve les corps … et les âmes. Le sextile sur Lilith montre cependant que ce potentiel a été dévoyé : la Nature n’aura servi que de théâtre aux fantasmes collectifs, prétexte à tous les abandons. Les statues partout présentes sont autant de « filtres mentaux » des représentations que l’on s’en faisait et témoignent surtout de la fascination pour les puissances qu’elle recèle. Sans cherchez à les comprendre ni à la maîtriser, on s’en pare et s’en empare pour nourrir les délires les plus fous. L’être abdique ainsi de sa puissance spirituelle sans voir qu’avec elle il perd son potentiel de joie.

    Mais revenons à cette charmante escarpolette, avec cette fois un sérieux tout… scientifique.
    En effet c’est le pouvoir de rayonnement solaire de Watteau qui – enfin ! – se dévoile. Et faire le lien entre la Balançoire et le Soleil du peintre en Balance ne cède en rien à la facilité d’un jeu de mots.
    Car outre le rayonnement proprement dit qui est ici matérialisé concrètement, ainsi que la lumière qui baigne la scène, la dynamique de l’image est celle de l’oscillation d’un pendule. C’est l’aller/retour de l’énergie, le principe d’alternance du mouvement, la danse du Yin et du Yang. Dans le domaine de l’électricité, c’est le courant … alternatif où chaque pôle est tout à tour émetteur puis récepteur. En psychologie, c’est la « polarisation » des rapports humains, où chacun, alternativement, est donneur puis receveur. Liens de polarités figurés par les deux personnages tout comme par la présence affirmée des deux arbres servant de support à l’action. Or c’est bien là l’âme de la Balance, qui vit et se conçoit en termes de relations et d’échanges, d’Inspir et d’Expir.

    Faut-il se réjouir ici de voir le personnage masculin, plutôt que de toujours vouloir prendre, – là aussi, enfin – capable de donner une impulsion, d’être à l’origine d’un élan de vie, de soutenir l’action, et se dire que Watteau avait la capacité … de donner du plaisir à l’autre ? Assurément. Le décile du Soleil/Eros – en maison I : la puissance du Désir … – sur Saturne/Mars/Vénus – en maison XII : l’ivresse … dionysiaque ! – ne laisse planer aucun doute à ce sujet.

    Mais pense-t-il vraiment à l’autre ?
    Il règne dans l’œuvre une atmosphère inquiétante. La hauteur de la balancelle fait courir un risque à la femme, le mouvement de sa chevelure évoque la vitesse. L’homme lui, semble pousser de toutes ses forces. Frénésie ? Précipitation ? Qu’en est-il de la maîtrise de soi ? Quelle est la réalité des motivations ?

    Á chacun d’en juger.

    La réflexion trouvera à se nourrir dans le contraste avec un autre tableau : La Porte de Valenciennes.

    Ici c’est l’absence de mouvement. Une cité d’un autre âge, comme morte. Des hommes en armes qui veillent. Cette cité, c’est l’édifice intérieur du peintre, sa citadelle psychologique, son système de défense : n’entre pas qui veut … En fait, l’inertie est totale. Lilith a fait son œuvre destructrice : à force de verrouiller – de castrer – les échanges du cœur pour ne vouloir que ceux du corps, l’enveloppe du vécu, que ce soit le territoire psychique ou physique, perd de sa vitalité. (LNC sesqui-carré Éris/Saturne).
    Prostré sur sa quête d’Absolu, cloîtré dans sa Cythère intérieure, l’être préfèrera tomber en ruines avec lui plutôt que d’ouvrir … la porte à une vie – une conscience – nouvelle …

    D’après Wikipédia, « Watteau était à demi conscient et muet durant ses derniers jours, peignant en l’air des figures imaginaires ».

    Voilà pour le personnage.

    Si j’ai pris la peine de vous adresser une telle réponse, ce n’est pas pour démontrer ou prouver quoi que ce soit. C’est parce que ses défis sont bien … universels : ce sont aussi les nôtres. Tous nous avons dans notre ciel de naissance une Lilith qui veut garder le pouvoir. Tous nous avons une « Porte de Valenciennes » à ouvrir sur une citadelle mentale. Tous nous risquons l’étouffement dans des murailles que seules des « figures imaginaires » viennent animer d’une vie fantomatique. Tous nous sommes invités à oser le Grand Saut : la rencontre avec l’Autre, accepter d’être touché par lui, transformé, transfiguré. Processus christique d’une Résurrection à soi-même, d’une Ascension dans l’accueil total et inconditionnel de la Mort présente à chaque « croi(x)…sée » des chemins, chaque fois qu’un choix se présente : explorer l’inconnu ou demeurer dans le champ des expériences validées – rester « soi » ou lâcher prise et risquer l’aventure d’une nouvelle conscience, d’un nouveau regard sur le monde.

    Comprendre Watteau c’est comprendre que l’Être est dans le Devenir. C’est comprendre la nature proprement « électrique » de la vie, l’ « excitation du courant » des échanges entre Intérieur et Extérieur, entre Ombre et Lumière, entre … Moi et l’Autre.

    Or tout montre qu’entre vous et moi … le courant n’est pas passé !

    Je craignais lors de mon premier écrit, être mis face à ce que j’ai appelé mes formulations « abruptes » – j’aurais pu dire péremptoires –, être taxé de sévérité, d’exagération. Ou tout simplement me voir interpellé sur tel ou tel point nécessitant plus d’explication.

    Or rien. Rien qui aurait pu faire courir le risque d’un dialogue, c’est-à-dire d’un échange, et, on l’aura compris, de remises en cause. Le débat contradictoire a été soigneusement évité. Une formule, courtoise, d’une finesse exquise – Watteau n’aurait pas fait mieux – est venue écarter l’intrus qui se présentait à la porte. Ici c’est Lilith qui n’aurait pas fait mieux : le calme en surface, le contrôle absolu de son territoire mental que l’on voue à une … portée universelle. « Pas touche à ma vision » ! Et c’est lors du second commentaire que la Méduse (souvenez-vous, la version grecque de Lilith) plantera son dard, d’une violence inouïe.

    NB De tout le règne animal c’est parmi les méduses que l’on trouve le poison le plus foudroyant …

    En effet, non content de suggérer à l’intrus de continuer son chemin, on tente de l’éliminer, définitivement. La réponse – qui n’en est pas une – devient jugement. Sans appel.
    On pense ainsi pouvoir refermer la « Porte », rester dans sa citadelle, sans voir que le danger est … dedans.

    Ceci n’engage bien sûr que moi, et je reste « ouvert » (!) à l’éventualité d’une erreur. Mais tous mes voyants intérieurs m’avertissent d’une attitude que les années m’ont appris à détecter à mille lieux – y compris informatiques … – celle de la Méduse et de son pouvoir castrateur. Années qui m’ont aussi été nécessaires pour comprendre l’effroi tétanisant qu’elle « masque » (…) devant la Mort, celle du schéma intérieur à partir duquel elle a tissé la toile de son existence et dans laquelle elle a voulu contraindre les autres, nécessaires à sa survie.

    Or, vous l’aurez compris, comme pour toutes les Méduses, la rupture du lien au Réel signe un processus d’autodestruction. Watteau l’aura illustré à sa manière.

    Sachez cependant que dans le mythe, un héros – Persée – réussira à trancher la tête de la Méduse. Il le fallait, tant elle harcelait le monde des hommes : « Le détruire plutôt que céder à ses lois, à ses … codes » ! – Dans un autre registre, il serait question de « refus d’incarnation » –. De son corps s’échapperont Chrysaor, le guerrier à la Faucille d’Or – celui qui ose trancher les attaches au passé pour rendre l’être à sa Solarité –, et Pégase, le Cheval ailé, celui qui unit le Haut et la Bas, le Ciel et la Terre.

    Lilith/Méduse libérée, c’est la blanche Licorne – autre figure à portée … universelle – symbole de pureté, dont l’unique corne, spiralée, nous montre le mouvement de l’Esprit qui pénètre la Matière et transcende la Dualité – ses sabots à deux doigts, comme ceux du … Bouc.

    Si vous acceptez de voir la possibilité – le choix – qui vous est offerte aujourd’hui de vous placer vous aussi à la « croi(x)…sée » des chemins, d’accueillir en conscience la Mort à … une vision de vous-même (et des autres par la même occasion, à celle d’un … Watteau par exemple), je vous invite à jouer vous-même votre propre Commedia dell’arte, en étant à la fois Méduse et Persée. La Résurrection sera à la mesure de votre courage, et de votre, disons, « appétit » de vivre (référence à ce foisonnement que je m’étais plu à découvrir en vous…). Vous pouvez très bien convenir de vos propres règles pour jouer une pièce signée de votre main. Ou la jouer à deux, pour mieux affirmer l’ouverture à une réalité, qui à défaut d’être universelle (mais qui sait…), aura le mérite d’inclure l’ « Autre ».

    Sachez que la profondeur de votre regard (c’est vous qui avez orienté le mien sur la « potiche » et la présence de la Mort dans l’œuvre de Watteau, m’incitant à l’approfondir par l’astrologie), la beauté de votre langue – Chateaubriand n’aurait pas fait mieux ! –, et une merveilleuse capacité d’émotion ont éveillé en moi la plus grande estime.

    C’est avec joie que je me rendrai disponible pour vous accompagner dans une telle aventure si elle vous inspire. Chose d’autant plus aisée si vous habitez comme moi en Ile-de-France …

    Ne connaissant pas le fonctionnement d’un Blog, pour le cas où vous n’auriez pas accès à l’adresse mail que j’ai laissée et que vous souhaiteriez répondre en « coulisses », voici mes coordonnées : thierrygtao@gmail.com.

    En ce vendredi 13, jour de Vénus et de la Pleine Lune des Gémeaux qui s’unissent pour célébrer la … St Antoine…

    Avec toute mon affection

    • cieljyoti dit :

      merci pour cette passionnante analyse astrologique qui, effectivement, éclaire l’œuvre du peintre selon une facette que j’ignorais. j’accepte ce que vous dites parce que je n’ai aucun moyen d’en critiquer éventuellement la pertinence. ce que j’aime en art, cette possibilité ouverte à chacun de creuser et d’y trouver une originalité jusqu’ici invisible. ouvrir une porte, là est, selon moi, l’intérêt de la création, quant à la direction à adopter par la suite, chacun a la sienne et c’est très bien ainsi. moi-même, à mon petit niveau (ne voyez là aucune fausse modestie, je suis prétentieuse comme tout le monde, mais je suis consciente de mes manques et de mes faiblesses), je n’avais d’autre but que de tenter d’ouvrir une porte, aucunement de la fermer. vos commentaires sont donc les bienvenus. vous vous trompez sur certains points. je suis franco-chinoise. J’habite et travaille actuellement à Hong Kong où je suis née. j’ai toujours eu ce rêve de devenir un jour écrivaine. j’ai ce défaut d’être superficielle, je n’approfondis jamais rien, j’en suis incapable. je ne suis pas spécialiste de Watteau et ne tiens pas à le devenir. essayez de lire d’autres textes de moi dans ce blog pour vous donner une meilleure idée de qui je suis. je n’ai aucun esprit de contradiction. j’estime que chacun a son point de vue et je ne vois pas pourquoi je devrais le discuter quand je n’y vois rien à redire. j’apprécie les points de vue différents du mien comme un enrichissement. comme je ne bataille jamais, je ne vois pas de raison de faire la paix. je suis sensible aux qualités que vous me prêtez et je vous en remercie

  9. Thierry dit :

    Vous me proposez de visiter votre Blog pour « voir qui vous êtes ». Opérer ainsi un glissement « horizontal » (dérobade ?), alors que tout est déjà là, dans ce que nous avons échangé, pour peu que le regard plonge « à la verticale », approfondisse et décrypte les messages… subliminaux.

    Mais bon, je me suis laissé prendre au jeu puisque vous m’y conviiez. Et j’y ai effectivement trouvé la confirmation de mes intuitions. Celle d’un verbe éblouissant d’abord. Vous maniez votre plume comme un virtuose d’un Stradivarius. Mais le moins que l’on puisse dire est que les airs que vous jouez tiennent davantage du feu impétueux et parfois dramatique d’un Niccolò Paganini – « le violoniste du Diable » – que celle de la douce « Méditation de Thaïs » d’un Massenet par exemple.

    L’atmosphère dramatique n’est d’ailleurs pas tant dans ces existences que vous décrivez, admirablement toujours, aux destinées puissantes et passionnantes – Coco Chanel, Géricault … – que dans les contradictions qui vous habitent vous, et qu’il serait trop facile, et de moins point de vue (je ne prétends pas avoir raison) même dangereux d’affubler du terme valorisant de « paradoxe » pour mieux asseoir un regard à sens unique sans véritable esprit d’unification des opposés, qui en est l’essence. Ériger ainsi sa cité de Valenciennes dont la porte, soigneusement gardée, s’est refermée sur une vie qui fait froid dans le dos tant … l’amour y est absent.

    Et pour cause ! Voyez votre diatribe de la St Valentin. L’homme n’a plus qu’à aller se cacher, quitte à fuir dans le suicide, tant vous vous êtes montrée impitoyable devant ses faiblesses. En vertu de la loi d’attraction – « Qui se ressemble … » – ce n’est sûrement pas avec de tels sentiments que vous permettrez à l’amour de venir à vous. Mépris, rage impuissante se mélangent à une exigence autoritaire – souvenez-vous de cette violence « subliminale » déjà perceptible dans l’une de vos (non) réponses concernant Watteau – pour obtenir cet amour selon des conceptions, des attentes éminemment … personnelles, plutôt que « d’ouvrir la porte » pour accueillir la magie de tous les instants qu’il nous propose de vivre. Tant que l’on n’a pas compris que l’Amour est Don pur, qu’il s’offre de lui-même, qu’il n’est pas à « construire » ni à chercher mais simplement à canaliser quand il se présente, on en est réduit à quémander, compenser et vitupérer contre l’ « injustice du monde qui nous en prive ». En fait il est toujours là, mais peu nombreux sont ceux qui ont appris à le voir…

    Vous dites n’avoir pas besoin de faire la paix, puisque vous « ne bataillez pas ». Or il ne suffit pas de laisser chacun dire ce qu’il veut, ce qui peut aboutir à la plus cruelle indifférence envers l’Autre. Voyez votre militantisme guerrier dans l’article où vous justifiez votre décision de restez en Chine. Il est moins question là encore d’un choix « par amour », que fondé sur des comparaisons et des critiques, des rejets et des revendications. Si les « privilégiés en perruque poudrée » ont bien existé, et existent toujours – ces têtes coupées du corps …social, en attente d’une nouvelle révolution ? –, ils ne sauraient en aucun cas résumer la France.

    Libre à vous d’aller en Chine car là « chacun se construit lui-même, ne compte que sur lui », surtout dans ce temple du Matérialisme triomphant, de l’Argent roi qu’est Hong Kong, avec ses mémoires oppressantes de manipulations politiques et économiques les plus glauques – l’Empire britannique, le commerce insidieux de la drogue pour saper les fondements d’une nation – et où les plus faibles, abdiquant de leur identité, n’ont plus qu’à aller se réfugier dans les Triades tant est grand le besoin de protection d’une communauté, signature d’une absence d’humanité proprement … criminelle.

    Sachez qu’en France, mais aussi au-delà en Europe, la notion d’un « revenu de base », inconditionnel et universel, vient annoncer l’aurore d’une conscience nouvelle, celle d’un nouveau jeu économique fait de partage et de solidarité, dans le respect de la liberté et de l’intégrité fondamentale de l’Être.

    http://revenudebase.info/

    http://www.projet-decroissance.net/

    Le cœur de la France des Droits de l’Homme, de cette France éternelle et … universelle bat toujours… Mais il est clair que lors de votre séjour ici, vous ne pouviez la croiser tant votre « porte de Valenciennes » était cadenassée sur vos révoltes intérieures.

    Vous me dites avoir fait quelques erreurs d’appréciation à votre endroit. Cela est bien possible. Mais si vous vouliez par là signifier les « échanges » nés dans les commentaires à vos publications pour arguer d’une capacité de dialogue … Vous ne me voudrez pas d’en sourire, tant ils sont indigents et sans consistance. L’obligation que l’on sent d’une réponse systématique, même – et surtout – de courtoisie, est perçue plutôt comme une quête de reconnaissance, un besoin … d’amour devenu mendicité affective, une confirmation et une légitimation d’une attitude toute … personnelle, n’alimentant que des « échanges » lancinants sans suite.

    Il n’y a guère que dans l’article sur les raisons de votre présence en Chine toujours (mais je n’ai pas lu tout le Blog) où des considérations concrètes ont prêté le flanc à une vraie critique, très intéressante par ailleurs. La subjectivité des analyses de l’Art, naturelle, recouverte du verni de votre style – fougueux –, « qui en impose »…, s’y prête moins il est vrai. De plus, vous dites des choses admirables. Moi-même ai été bien des fois émerveillé. Mais voyez comme avec Watteau tout en nous présentant une œuvre fondamentale – vous avez l’œil là aussi pour les repérer –, vous êtes passée à côté de la réalité du personnage. Il est vrai que moi-même, sans l’astrologie, je n’y serai pas parvenu à la seule vue de ses tableaux. Du moins pas avec une telle profondeur. La qualité de votre regard est incomparable, qui a pointé des nuances d’atmosphère d’une finesse extrême, dans une qualité d’expression littéraire à la hauteur. En comparaison, je n’ai de loin pas cette capacité de « perception en direct », et votre exemple est pour moi un enseignement.

    J’en profite pour relever d’autres contradictions mentionnées en début. Ainsi cette « modernité » que vous avez relevée dans mon approche, vue comme un « défaut ». Alors que soi-même on parle de « potiche » et de la présence de la Mort : en plus digne descendante du Féminisme et d’ « Éros et Thanatos » – la Psychanalyse – du XXème siècle…

    Une autre ? Vous dites ne pas batailler. Alors, en quoi la pornographie vous dérange ? Pourquoi dépenser tant d’énergie pour en dénoncer la vacuité ? Quelles qu’en soient les raisons, chacun n’est-il pas « libre » (!!) de vivre les expériences qui lui conviennent ? N’est-il pas important pour ceux qui s’y adonnent d’en explorer les limites ?

    Sachez aussi que bien des points sont à relativiser. La puissance d’un Géricault par exemple. En première lecture, il y a bien une fougue, impétueuse là aussi, une réelle énergie de révolte, d’innovation, de création également, comme vous l’avez très bien montré.
    Mais est-ce cela la force ?

    Rassurez vous, je n’entrerai pas dans une analyse astrologique – manque de temps et de motivation aussi. Je me contenterai simplement de vous soumettre un sentiment de … fatigue devant tant d’émotions (à mes yeux toujours) non maîtrisées. Non qu’il faille les réprimer. Mais il manque le point opposé, complémentaire, pour conférer à l’œuvre une dimension « paradoxale » (!) et participer d’une réelle dynamique de vie : le principe de relativité, y compris de la souffrance, l’enracinement – tout intérieur – dans une connaissance réelle du monde et de la nature des choses.

    L’être est ballotté par ses sens, l’esprit n’accède pas à une véritable conscience, cette maturité qui ne peut naître que d’un véritable travail … sur soi. On développe une technique, et comme pour Watteau, on l’instrumentalise pour en faire le canal d’expression de son paysage intérieur, sans voir l’enchaînement, l’enfermement dans un regard par trop … personnel, tout aussi « génial » soit-il. Seuls sont dépeints des sentiments de nature égotique, ceux d’individualités encore coupées de leur véritable dimension, celle où l’être se vit « un » avec les autres, où il se conçoit comme un faisceau de relations et n’existe que par les échanges qu’il nourrit avec le monde. Toute souffrance s’évanouit, tout drame disparaît quand le « Je » se dissout en un « Nous » … universel, cosmique.

    C’est alors qu’éclate le rire d’un Tchouang Tseu.

    C’est alors que la force véritable se révèle dans un calme que rien ne peut perturber.

    Vous avez tourné le dos à la France. Auriez-vous aussi tourné le dos … à la Chine éternelle ?

    Se pourrait-il que ces génies qui ont sont la trame de vos articles ne servent que de chair à canon à des salves conceptuelles destinées à donner une illusion de vie à une citadelle de la pensée habitée de … vide ?

    Ivry Gitlis, un violoniste qui avec les Menuhin et les Oïstrakh a marqué le 20è siècle, lui-même détenteur d’un Stradivarius … avouait lors d’une interview (il a maintenant 91 ans) : « Je me demande si je n’ai pas fait de la musique toute ma vie … par peur du silence ».

    Sans commentaire.

    Depuis des siècles, l’enfant grandit dans un monde où personne ne se soucie de qui il est vraiment, de ses besoins, de cultiver le joyau qu’il porte en lui. Quand vient un Mozart, c’est un père qui dès l’âge de 6 ans le traîne sur les routes d’Europe, tel un montreur d’ours, pour sa gloire, ou sa fortune personnelle. On dit que le petit Wolfgang s’arrêtait parfois en plein concert pour demander au public : « Est-ce que vous m’aimez ? ». Qui alors a vu son besoin d’amour, l’absence du maternel, cette violence qui lui était faite ? Un Raphaël, lui sera utilisé par le pouvoir religieux de son temps pour encenser sa gloire, et laissé seul en proie à l’ivresse de son succès, dérapant en ivresse sexuelle – autre besoin d’amour non satisfait ? – qui aura raison de lui.

    Il faut un Gustavo Dudamel qui jaillit des bidonvilles de Caracas au firmament des génies de la musique pour nous dire aujourd’hui que des étoiles brillent partout, et que nos sociétés ne savent pas les faire émerger. Rien n’est fait pour guider les enfants dans la construction – solide – d’eux-mêmes. Et il suffit alors de la moindre tempête émotionnelle intérieure – cf. Watteau, mais aussi Schubert, un autre membre de votre « club des 37 », lui dès 31 ans) pour que les êtres, non préparés, soient emportés.

    On se sert d’eux, quand cela arrange certains intérêts. On prend, mais on ne leur donne rien : amour, éducation, protection. C’est le règne du chacun pour soi.

    Pourquoi ces considérations ?

    Parce que c’est la motivation fondamentale de cet écrit : voir le joyau dont vous êtes détenteur, et voir le danger qui le menace, par manque de travail sur soi. Comprendre la nécessité d’une secousse pour lui éviter de se retrouver, comme beaucoup des êtres qui ont été évoqués ici, sur … le carreau, d’une manière ou d’une autre.
    Sentiment d’effondrement qui vous avez déjà du expérimenter.

    La vie m’a confié des projets à dimension planétaire. Ils feront appel à toutes sortes de compétences, scientifiques, économiques, techniques, pédagogiques, artistiques…
    Si je réussis à les faire sortir de terre, je reviendrai vers vous dans quelques années, tant vous avez à mes yeux un potentiel hors norme.

    En attendant, la meilleure réponse que vous puissiez apporter à cet écrit est … le silence.

    Vous découvrirez qu’il a énormément à vous dire.

    Paradoxe !

    Avec toute mon affection

    PS Pensez éventuellement à me laisser un moyen de vous joindre en cas de « mutation » de ce Blog. Si, bien sûr tout ceci fait sens pour vous.

    • cieljyoti dit :

      j’ai toujours cette hantise d’une écriture féminine mièvre, aussi ai-je le souci dès le début de manier une écriture vigoureuse. de là sans doute des défauts que vous avez notés, un sentimentalisme en retrait donnant peut-être le sentiment d’une personne un peu distante, ce que je ne suis pas dans la vie. dans l’article sur la Saint Valentin, j’aurais pu attaquer la femme, c’était facile, fait tant de fois, je me suis dit qu’il valait mieux attaquer l’homme et ses travers. bien entendu, il ne s’agit nullement d’une conviction personnelle, mais d’un parti-pris humoristique. je me suis laissée porter par ma plume et le flot s’est déversé. je l’assume. cela ne signifie nullement que je suis partie en guerre contre le mâle, bien au contraire. ne dit-on pas que l’on critique bien ce que l’on aime ?

      vous me bluffez, je vous disais de lire mon blog, je ne pensais pas que vous le feriez et je vous en remercie. les critiques que vous apportez à mes petits textes me paraissent justifiées. pour ma défense, je dirais que je n’ai pas la prétention de tout dire sur ces personnes que j’admire, mais plutôt d’évoquer la vision qu’elles m’inspirent.

      j’admets l’immense richesse de la culture française pour laquelle j’ai une admiration sans bornes. cet amour de la culture française ne peut en masquer les défauts. étudiante en France, je n’ai jamais rencontré de Rimbaud, mais des Dupont agressifs, racistes, aigris, mesquins, égoïstes, etc. je ne dis pas que tous les Français sont des monstres, évidemment pas, mais j’ai le sentiment que les Français ont perdu leur humanité à force de se calfeutrer derrière les facilités d’un pays riche et paresseux. une nouvelle fois, on ne critique bien que ce que l’on aime !

      je ne tourne le dos à personne, mais j’ai décidé d’adopter le ton de la moquerie pour rudoyer les petits défauts d’une belle au bois dormant, la France, se reposant sur ses lauriers sans songer à en faire pousser de nouveaux.

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