Bing Hum (né en 1966), photographe à Hong Kong
Mon inspiration, ce sont les gens.
Quand j’étais jeune, j’avais une collection de photos journalisme que je lisais tout le temps, dans les toilettes, avant de dormir, dès que j’avais un moment de libre. Je n’étais jamais fatigué de les regarder. Dès que j’ai eu un appareil photo, j’ai tout de suite pensé à assouvir ma passion des gens.
Je veux une vraie photo, pas une illustration. Je provoque la photo avec les gens que j’interpèle systématiquement même par des banalités. Je ne veux pas d’une photo passive, mais active. Je ne m’intéresse pas à l’aspect technique ni esthétique. Le monde n’est pas parfait, mais imparfait parce que plein de vie. Une photo sans vie peut être très belle, mais ennuyeuse à mes yeux. Par principe de base, j’évite de m’ennuyer dans tout ce que je fais. L’ennui, c’est le début de la médiocrité.
Une photo ne tombe pas du ciel, mais vient de la terre, de la rue, de la vie dont seul l’humain avec sa nature changeante est le héros. Je photographie un monde imparfait. Un minimum de techniques est nécessaire, tout le reste, c’est l’image qu’elle est. C’est l’imperfection qui fait l’image.
La spécificité de Hong Kong fait que l’on se sent concerné par les gens, c’est-à-dire par ce que l’on rencontre le plus ici. J’imagine que si je vivais au Canada, je prendrais plus de paysages. On ne capte vraiment que ce qui nous touche. Quand je ne sens rien, je ne fais rien.
J’aime les gens et les photographies des gens. J’ai besoin de parler avec une personne, je veux partager, pas voler. Mon souci est de rendre la photo plus vivante. Pour cela, je cherche une rencontre passagère, une interaction, en somme je cherche une équipe même pour un temps très court. C’est important pour moi d’instituer une espèce de confort avec la personne photographiée. Je trouve que si le confort ne s’installe pas avec la personne photographiée, la photo est ratée.
Je ne supporte pas quand quelqu’un me rejette en tant que photographe, j’aime inspirer confiance aux gens et je fais tout pour justifier à leurs yeux cette confiance.
Il faut se méfier des images toutes faites, le pauvre n’est pas seulement un pauvre, un riche pas seulement un riche, j’essaye d’éviter les caricatures des gens selon leur situation sociale ou autre. Je cherche avant tout l’humanité qui est en chacun de nous.
Le problème du photographe est son ego : il prend ce qu’il est et non ce qu’il voit. L’ego bloque la conception que l’on a des autres. On a tendance à vouloir faire entrer les autres dans le moule qu’on veut et pas forcément le leur. Je ne veux pas mettre les gens là où l’on veut, mais là où ils sont vraiment.
La photographie est d’abord l’art de l’attention à la vie. L’observation est primordiale. Prendre la photo n’est pas le plus important. Ce qui compte, c’est l’adaptation qu’elle oblige. J’essaye de m’attacher à tout ce qui est susceptible de rendre une image intéressante. Là est surtout mon travail. On ne bute pas contre une photo, mais contre tout ce qu’elle implique. Il faut aller vers l’image et naviguer avec tout ce qui la construit. Le travail créatif ne consiste pas à prendre une image, mais à l’anticiper et à s’arranger pour y mettre suffisamment d’ingrédients pour la rendre plus vivante.
Je ne cherche pas l’art, je le trouve parfois, en tout cas je rencontre une vie même si ce n’est que pour un instant avec un échange minimum de paroles. Je ne cherche ni le sourire, ni la complaisance avec autrui, mais son authenticité d’être et de la situation dans laquelle il se trouve. Je m’adapte en fonction de la rencontre. Je peux plaisanter ou être très sérieux, c’est selon ce que je ressens sur le moment.
Parfois je planifie mes photos : je sais où je vais rencontrer tel ou tel type d’individus auxquels je me prépare, mais je reste constamment prêt à l’imprévu. Parfois j’ai des envies d’images, travailleurs, femmes, enfants, etc.
Prendre une photo d’enfant en Asie n’a pas autant de sous-entendus qu’en Europe avec les problèmes de pédophilie. Prendre la photo d’un enfant est quelque chose de normal en Chine. Un enfant peut révéler des aspects de la vie qu’on ne trouve pas chez un adulte qui est déjà entré dans le rôle qu’on attend de lui. Saisir l’inattendu, c’est capter ce qu’un être préfère cacher en temps normal.
Je ne cherche pas du caviar tous les jours. Mon souci est d’abord de renouveler mes images chaque jour et de prendre le risque nécessaire à cela. Il faut faire attention à ne pas compliquer une situation déjà suffisamment confuse comme cela. Il vaut mieux s’ingénier à simplifier une relation qu’à la surcharger de tout ce qui ne passera de toute façon pas sur l’image. Je suis un chercheur de simplicité, c’est-à-dire de ce qui est immédiatement traduisible en image.
Je photographie d’abord pour avoir une expérience humaine. Je cherche à être au même niveau que les gens et à leur donner de l’importance car ainsi c’est à moi que je donne de l’importance. Le meilleur, c’est quand j’obtiens ce que je n’avais pas prévu. J’aime m’ouvrir et c’est ma principale motivation. Ce n’est jamais évident de s’ouvrir aux autres, surtout quand ils ont un appareil photo, il est donc normal de faire un effort pour aller vers eux. S’ils viennent vers moi, je tiens beaucoup à ce qu’ils en tirent un minimum de satisfaction. Si mon sujet est heureux, je suis heureux. Je veux qu’il soit satisfait de cette expérience photographique au même titre que moi.
Je ne cherche pas les célébrités. Si je les rencontre, je les prends comme des humains, sinon je ne coure pas après. Je cherche une particularité, une personnalité, c’est pour moi le plus important. Je déteste la photo posée.
Parfois à Hong Kong, les gens refusent de participer à la photo. Ceux qui acceptent de jouer avec leur image, ce sont d’abord ceux qui ont conscience d’en avoir une. C’est tout bête, mais certains sujets ont du mal à émerger dans le monde extérieur. Ils manquent de confiance en tout. Il n’y a pas de miracle, on ne met pas en confiance quelqu’un qui n’a aucune confiance en lui, du moins en un temps si court. Ce sont ces personnes qui ont le sentiment qu’elles peuvent jouer avec leur image qui acceptent de se montrer.
Les plus faciles à prendre en photo sont les Canadiens, les Américains, les Australiens, les gens du Nouveau monde. Côté européen, les Allemands sont les plus difficiles à prendre en photo parce qu’ils sont toujours un peu coincés. Les Anglais aussi, mais à un degré moindre. Il y a souvent un côté ennuyeux et ennuyé chez eux. Les peuples latins, Français, Italiens, Espagnols, entre autres, sont plus agréables à photographier parce que plus détendus dans leur vie.
Je me sens plus confortable à prendre les hommes en photo que les femmes. Je déteste qu’une femme s’imagine que je veuille la prendre en photo pour sa beauté ou je ne sais quoi. Mon intérêt personnel est ailleurs. Avec la femme, je ressens une ambiguïté qui n’existe pas avec un homme. Je crains de provoquer les femmes, du moins qu’elles le perçoivent ainsi. Je suis aussi conscient que ce sont les hommes qui prennent le mieux les photos de femmes, mais dans des conditions particulières qui ne sont pas la miennes dans mon travail quotidien.
Les gens doivent aimer les photographes et ne pas en avoir peur. La première condition est donc de ne pas avoir peur des gens. Si les gens sentent la peur, ils ont tendance à se fermer. Quand ils ont en face d’eux quelqu’un leur paraissant franc et ouvert, ils sont plus tolérants. Le coeur et la passion sont l’essence de la photo telle que je la conçois. Je n’attends rien des gens et ils n’attendent rien de moi. Je prends des photos et tout rentre dans l’ordre après mon passage qui s’oublie très vite.
Chaque jour est un jour spécial pour la photo. Chaque photo est pour moi un souvenir de vie. Quand je vois mes photos, je me remémore un contact que j’ai eu avec une personne. Si la photo ne me rappelle rien, c’est sans doute que rien n’est passé à cet instant. Si j’ai oublié, c’est que la photo que je voulais reste à faire. C’est un encouragement pour le lendemain.
Le véritable œil du photographe, c’est d’être à l’écoute des gens.
Oh, oh, superbe texte ! On a furieusement envie de découvrir ses photos après une telle profession de foi. Bien joué Céline.
J’avais la tête ailleurs en lisant ce billet et je ne comprenais pas pourquoi tout était au masculin. Je me demandais si le fait de ne plus pratiquer le français au quotidien pouvait avoir cet effet pernicieux. Mais j’ai enfin compris !
ces deux articles sont des interviews. cela dit, parler en tant que garçon me plairait beaucoup, il faudra que j’essaye ça un jour ! merci pour tes commentaires