Serial killeuse

Rien n’est plus rassurant qu’une femme, on se sent tout de suite à l’aise, surtout quand on ne l’est pas. On se méfie moins. Pas facile d’avoir peur d’une femme. Cette inégalité des sexes me révolte, pourquoi ce privilège de la terreur au mâle ? On a tort de ne pas prendre au sérieux les tueuses.

Antoine Wiertz, Faim, folie, crime, 1854

Je me lève comme tous les matins pas spécialement de mauvaise humeur, pas de bonne non plus, cette indifférence dans laquelle je barbote depuis tant d’années me rend triste. En préparant le petit-déjeuner, comme à chaque fois, je jette un léger coup d’œil à la fenêtre. Ces corps affalés à terre, certains en train de ramper, cette manie qu’ils ont d’accrocher leurs instruments de torture est détestable, je ne m’habitue pas à cette vulgarité. À peine croyable le nombre de têtes que ce gars peut couper par jour. Je reconnais qu’il y prend à chaque fois le même plaisir, comment s’en lasser, contempler le regard d’une victime reste un des plus grands bonheurs de ce monde.

Jacomart, Saint Pierre de Vérone, 1450

Les temps changent. Autrefois, je me rappelle vaguement, on avait mauvaise conscience du mal causé, certains même en avaient du remords, foutaise alambiquée, comme si le cerveau avait besoin de perdre son temps à justifier tout ce qu’il commet. Agir aujourd’hui, penser demain ou ne jamais penser, quelle différence ? Aujourd’hui, facile de faire son shopping, ils sont tous là à faire le beau, la parade des oubliés de la vie, je veux juste me rappeler à leur bon souvenir. Il suffit de trouver la proie idéale, la supplicier, la voler et rentrer douillettement dans son lit avec la bénédiction du devoir accompli. Il existe au moins une personne en ce monde à qui je peux faire du bien.

Finies les courses ennuyeuses, devoir faire la queue devant des gens parce qu’ils étaient là avant nous. Seule la loi du plus fort est valable pour tout et en tout, la seule en laquelle on peut avoir confiance. Quand je pense qu’avant on choisissait un homme parce qu’il est beau et intelligent, un tel homme ne sert à rien. Il faut en trouver un costaud n’ayant pas froid aux yeux, capable d’endurer mille tourments sans tourner de l’œil. Et puis il y en a tellement qu’un de perdu, dix de retrouvés. Parfois je ne peux pas me retenir, quand il revient à la maison avec plusieurs têtes à sa ceinture, je l’attends avec une hache. Au moment propice où il entre, je la plante furieusement dans sa tête. Le sang si longtemps comprimé se libère joyeux, il gicle de partout, spectacle grandiose. La seule chose qui m’attriste, une tête ne repousse pas, pas encore, la science y travaille.

Livre franciscain, Dix mille martyrs

On coupe une plante pour qu’elle bourgeonne mieux. Tout ce que l’on découpe sur terre donne une fleur magnifique au paradis. Quand j’irai, je retrouverai les plantes que j’y ai fait pousser. J’y serai accueillie comme une fée. J’adore inventer de nouveaux supplices. Je ne suis pas mauvaise. Le truc, lui laisser le temps de mijoter la trouille. La peur, rien de mieux pour épicer les petits gestes banals. Le physique, c’est drôle, voir couler le sang, fascination de l’innocence, en le vidant de son sang, je l’assainis. J’agis pour son salut, il m’en sera redevable, déjà il me voit comme sa reine. Sans la touche psychologique, pas de plaisir. Le psychologique, c’est l’aristocratie de la haine, l’art de bouillir les silences, une tisane apaisante. Le reste coule de source. On finit par s’en rassasier, j’exagère, j’aime couper ses doigts, un sécateur affûté, je trouve ça excitant, impossible d’arrêter.

Le rasoir est une merveilleuse invention, rien de mieux pour le taillader, travail soigné et précis, un démultiplicateur de jouissance. Dépecer un animal n’offre pas la même délectation. Mon jeu favori, plus jeune. On se désabuse du goût animal, pas du goût humain, plus subtil. Un verre de sang avec des morceaux de chair est sirupeux, rien de tel pour mettre en appétit. La préparation est plus importante que tout. Choisir la viande est primordial, délicieux fumet en étalant les saveurs dont on hume les déclinaisons. Le pourrissement des chairs est un encens des sens. La viande ne manque pas, pourquoi s’en priver ? Je veux être moelleusement assise pour le grand festin de la vie.

Cornelisz, Salomé portant le tête de Saint Jean-Baptiste, 1524

J’ai besoin de me sentir normal, d’avoir une existence paisible sans me poser de questions à chaque fois que je fais un pas. Les questions, je les empile, j’en fais un muret et je me blottis derrière. Il ne m’est jamais venu à l’idée de donner la moindre réponse à l’une de mes devinettes. Je trouve plus drôle de dorloter le mystère plutôt que de le triturer en tout sens jusqu’à faire comme s’il n’existait pas. Les énigmes me font vivre, les solutions me font mourir. Je déteste la raison de faire quelque chose, je fais sans raison, c’est plus raisonnable, la raison ne se suffit jamais à elle-même, une raison en entraîne une autre, et ainsi de suite, jusqu’à ne plus rien faire. Ils perdent leur temps à penser. La nuit est propice à la félicité, quand je rêve, j’assassine les arguments à grands coups de surins.

C’est en moi, je ne sais pas comment. Sans prévenir quelque chose se déclenche, comme une énorme injustice non à subir, à faire endurer. Comme si je mettais tout mon poids de son côté avant de m’affaler sur lui. La joie si profonde de manipuler un être passif, incapable de se défendre, contraint d’attendre mon vouloir, jouissance effrénée de la soumission que le couteau taillade allègre de ses suffisances. Moi, c’est l’amour qui me tire. Je suis folle de lui.

Rochegrosse, Andromaque, 1883

Je dessine beaucoup, pas assez, pas comme je le voudrais, des esquisses rapides. Je lance un trait et je le suis, je lui invente des courbures, la ligne droite est la plus longue et la plus dangereuse parce qu’elle ne va nulle part, elle est une courbe qui s’ignore. Elle est timide, elle n’ose pas le détour qui lui fait rencontrer une autre ligne. Elle est hautaine pour cacher ce qu’elle n’ose montrer. Aucune ligne n’a sa raison d’être, mise bout à bout, elles prennent forme et se moquent de la raison qu’on leur prête. Cruauté de la ligne, elle se démarque de ce qu’elle n’est pas, sans pitié pour ce qu’elle ignore. J’ai le besoin inlassable de dessiner son corps, de l’arranger à ma façon, de le faire mien. Je trace les lignes se refermant sur lui, l’emprisonnant dans mes délires. Mes lignes deviennent des fils, autant de liens l’enserrant de passivité.

Une forme dès qu’elle apparaît implique une autre comme son indispensable corollaire. Une chose n’existe qu’en ce qu’elle entraine autre chose, ce qui n’entraine rien n’existe pas. Dessiner, c’est imbriquer des lignes jusqu’à qu’elles deviennent une. Dans la vie, personne n’accepte pareille condition. On préfère refuser, nier, que d’avoir à reconnaître devoir se fondre en autrui. Le calvaire de la vie, on a besoin des autres, mais on en refuse la condition, celle de devoir abandonner ce que l’on est pour devenir autre. On n’est rien, juste un attrape énigmes, pourtant le peu qu’on voit de soi, on y tient plus que tout, question d’intégrité, on croit que tout est là. J’excave ma proie, je la vide, je me remplis de lui, je prends sa place, il prend la mienne.

Otto Dix, Le meurtre, 1922

Rien n’est plus dérisoire qu’un corps démembré. Tous les corps sont morcelés. Ce que l’on fait à coup de machette, la nature le fait quotidiennement. Chaque partie du vivant est détachable. Je ne coupe rien d’autre que ce qui détache naturellement. Une fois coupé en petits morceaux, je le fourre dans une bouteille avec de l’alcool. La boisson des délices.

Tout commence dans la rue. À la maison on fait semblant, le public est conquis d’avance, tolérant à souhait, émerveillé de si peu. Dès que l’on sort de chez soi, un monde hostile et odieux ne se laissant convaincre que par ce qui lui ressemble. Je ne ressemble à personne. Il ne suffit pas de grand-chose, un infinitésimal instant pour que la machine s’ébranle. D’abord craintive, elle ne veut pas se reconnaître. Reculer en terrain connu plutôt que d’avancer dans l’inconnu. J’ai peur de l’inconnu parce qu’il se méfie de moi, il ne me juge pas assez connu. Je ne m’attends pas d’un homme qu’il me regarde, qu’il m’admire, je sais que c’est lui. Sans intimité, pas de plaisir.

Je suis normale, j’ai besoin qu’il me parle, me câline des yeux, qu’il se montre enjoué, j’aime sentir son estime. Sinon ça me coupe les moyens. Être comme tout le monde, l’espace d’une rencontre. J’adore grignoter une petite douceur avec mon amoureux de passage, les yeux dans les yeux en songeant à plus tard. Tendre est la vie de l’amour, douce est son agonie.

Cornelis Cort, Martyre de Sainte Agathe

Un homme lèche ses yeux sur mes parties intimes, ça me dégoute. Un homme s’appesantit sur mon indifférence, ça m’écœure. Un homme s’excite sur ma banalité, ça me met en colère. Silencieuse, je passe mon chemin. Pourtant une idée germe à mesure que mon pas s’allonge. Les hommes me fascinent, je pense à eux tout le temps. Je n’en parle jamais. Je rêve d’un homme à ma merci. J’aime dominer et je me soumets au premier venu, je n’y arrive pas, il y a quelque chose chez lui qui m’écrase. Je l’imagine sous ma botte en train de gémir. Je balbutie quelques mots endoloris, je ne fais mal qu’à moi-même. De le voir, c’est moi que je vois, je ne ressens aucune pitié à mon égard. Aucune limite, je le dessine à ma façon, puis de mes doigts barbouillés de sang, je peins les couleurs de la mort.

Cranach, Judith et Holopherne, 1530

Pour le premier, j’ai fait tout ce que je déteste. Je lui ai souri, adopté une attitude presque provocante, pas trop pour ne pas l’effaroucher, suffisamment pour lui faire oublier la plus élémentaire prudence. La prudence est dangereuse quand elle est excessive, elle crée une pression angoissante. Je suis prudente, non pour moi-même, pour donner confiance. Je fais la timorée emportée par son élan, ça marche, il ne se méfie pas. Il sent la tension, il la met sur le compte de la peur. Oui j’ai peur, j’ai peur de ne pas suffisamment jubiler. Ça me fait jouir de le faire souffrir. Une fois écartelé, il est moi.

Je ne prends pas de photo, je trouve ça sordide. C’est au fond de moi que son image prend vie. Je lèche sa peau que je m’ingénie à couper. Le scalpel est un instrument divin, précis, enjoué, crissant, comme faire un dessin, non pas s’emparer d’une toile blanche, son épiderme est fascinant, l’esquisse importe peu. Plus rien ne compte, le toucher de sa peau froide, putride, impuissante, à mesure qu’elle perd ses formes, j’acquiers les miennes, je me sens forte de partout. Martyrisé, il me ressemble, je me sens moins seule, rassasier mon envie de communier avec lui.

Je ne fais rien, je ne dis rien, je le laisse faire, il a besoin de parler. Je ne suis rien pour lui, juste une impression le plongeant dans ses fantasmes. Une fois saisi à la gorge par ses désirs, je le tiens en laisse. Patienter le plus longtemps possible, il devient malléable, il ne pense plus, il réalise dans sa tête tout ce qu’il sait ne pas pouvoir faire. En rêvant sa vie, il devient prisonnier du moindre geste évocateur, il suffit de presque rien, une simple allusion, il court après comme un chien après son os.

Schlichter, Crime sexuel, 1924

Il me propose chez lui, je lui dis chez moi, il est fou, il se croit aimé, un irrésistible crétin. Une fois dans mon petit nid douillet où tout inspire confiance, il se croit en terrain conquis. Je refuse de tuer un homme comme ça, avec un simple empoisonnement. L’idée qu’il ne s’aperçoive de rien me rend malade. Juste un petit somnifère, un petit somme réparateur avant la grande aventure de la douleur. La conscience est une machine à torturer. Le corps est mécanique et ennuyeux, le corps sans l’âme est machinal et instinctif, terriblement prévisible. Une touche de prévision est utile pour diriger ses gestes, mais l’imprévu, c’est le nectar. Je déteste ces criminels qui répètent les mêmes gestes comme une obsession. Le plaisir ne supporte pas l’ennui et l’ennui dans un couple fait s’effondrer toutes les passions du monde.

Je ne m’exprime pas, je ne sais pas, je n’ai jamais appris, je garde tout en moi, je rumine toute la journée. Ça me fait mal, je ne sais pas faire autrement. Comment pourrais-je raconter à quelqu’un d’autre ce que je pense ? Bonne pour l’asile de foldingues, chacun dans son petit intérieur hermétiquement clos, fermer les écoutilles, ne rien laisser entrer, ne rien laisser sortir, un enfer personnel. Divine furie de justicière, je rumine mes colères, normal, j’ai besoin de me défouler sur lui. Je ne suis pas louftingue, je prémédite tout ce que je peux. J’ai des visions, ce sont elles qui me guident, elles m’aident à ne pas m’assoupir. Je ne veux pas m’abrutir sur lui, je ne veux pas m’amputer du bonheur de l’entendre gémir, voir son âme ramper, je prends le commandement de son navire, le conduire à l’engloutissement.

Il me dit qu’il m’aime, je lui dis que je l’aime, il est prêt à gober n’importe quoi, un jeu d’enfants, trop facile, presque décevant, je me rattrape après. Je lui fais ingurgiter un antidépresseur, sûr qu’il va en avoir besoin d’en pas longtemps, j’anticipe. Et puis, bien dormir, être parfaitement reposé, rien de mieux pour apprécier le spectacle dont on va être l’acteur. J’ai appris à mettre de l’antidépresseur partout, surtout là où il n’y a pas de déprime, mieux vaut guérir que prévenir, plus drôle. L’assommer gentiment, pas méchante moi !

Ribera, Martyre de Saint Barthélémy, 1639

Devant son corps nu, soigneusement attaché les bras en croix sur une grande table, mon inspiration virevolte. La préparation est essentielle, c’est là qu’on prend ses marques. Mettre en évidence tout ce que l’on va faire, surtout qu’il ait le temps de comprendre ce qui lui arrive. Je l’ai déshabillé comme je l’aurais fait pour moi, avec attention. Moi-même, je me suis dénudée, histoire de créer une ambiance plus chaleureuse. De plus, ça m’évitera de nettoyer mes vêtements. Tout ce que je ne sais pas dire, je sais lui faire hurler. Et plus il a peur de moi, plus je me sens heureuse, j’ai plein de choses à dire, pas avec ma bouche, avec mes instruments.

Faire des petits trucs de rien du tout et le voir se trémousser, tirer sur ses liens comme un diable, une jouissance convulsive. On dit que la vie d’un homme est tendue par son sexe. Lui, c’est vrai. Un cordon coulissant autour de son sexe, en dessous des gonades, sensuel à mourir de plaisir. Une mise en condition. Ça fait mal, mais l’idée qu’il s’en fait est pire, invivable, inimaginable, désormais sa seule réalité. L’œil torture, pas les doigts, il se colle à mon regard comme à son dernier recours. Je déteste imaginer ce que je peux vivre. J’apprécie l’intimité que j’entretiens avec la réalité, pas n’importe laquelle, la mienne. Tuer m’est insoutenable, je ne supporte pas, comme si le monde croulait sous moi. Je voudrais qu’il vive éternellement à souffrir comme j’en ai envie. Je le sais, un moment viendra où il ne pourra plus tenir, où mes petits jeux ne l’amuseront plus, où il n’aura même plus la force de crier, ça me rend guillerette. L’extase de la fusion.

Ribera, Martyre

Je n’ai aucune compassion pour lui, j’en ai pour tout ce que je mets en lui, c’est ça qui me motive, me pousse à continuer. Le sexe m’écœure, je le déteste, il est la cause de tous mes maux. Son tuyau est long, je le raccourcis, le rendre si petit que je peux jouer avec lui. L’homme est laid parce qu’il est cruel, sournois, envahissant et stupide. Parfois je vois un monstre hallucinant, effrayant, je dois me protéger à tout prix, supprimer la malfaisance, presser de toutes mes forces la protubérance du mal pour enlever le pus. Que puis-je dans ce monde de brutes insatiables, moi la petite fille, éperdue d’amour. Il est brutal, je sens son naseau de bête me triturer la face, écœurant, il bave, comment puis-je lui faire cet effet ?

Je ne veux pas le tuer, je veux l’empêcher de nuire. Je ne veux pas lui faire mal, je veux lui apprendre les bonnes manières, qu’il ait le temps de ressasser toute sa monstruosité, dans tous les sens, toutes les positions, toutes les parties du corps, ne rien omettre, oublier une partie, c’est là où le mal se recroqueville pour attendre son heure. Aller plus vite que le mal, éliminer sa nuisance pour être sûre de l’éradiquer jusqu’à la racine, qu’il ne repousse plus jamais, l’enfoiré. Et surtout voir le mal fuir penaud, honteux, blessé, il n’est pas prêt de remettre ça de si tôt ! Victoire.

Goya, Désastres de la guerre n°39, 1810

Il me manque de respect ce bâtard, moi je respecte la victime qui est en lui, pas le bourreau, il y a un bourreau en chacun d’eux. Les hommes me méprisent, moi, non. Je veux le voir souffrir, qu’il comprenne ma souffrance, je ne peux la dire à personne, pas même à moi. Le silence me tue alors qu’il meurt ! Je le vois comme moi, c’est à moi que je fais du mal, pourquoi en aurais-je du remords ? Je n’avais qu’à ne pas mériter le mal que je me fais. Ce mal, c’est mon salut.

Gérard David, Ecorchage du juge Sisamnès, 1498

Une enfance heureuse qui est passée de travers comme une arête dans la gorge. Le bonheur ne s’exprime pas, il accumule les rancœurs. Ils m’y ont acculée, à eux d’en payer le prix. Mes fesses, oui, ce n’est pas moi qu’ils aimaient, ils n’aimaient personne, une poupée débile chargée de plaire à tout le monde, c’est là que j’ai appris que la gentillesse est une arme redoutable, elle ravage les êtres de l’intérieur, elle leur ôte un nom à mettre sur la haine, on se met à haïr tout le monde quand on ne peut lui donner un visage. Je suis innocente, je ne suis responsable de rien, je peux le prouver, la preuve, je veux qu’on m’aime. Je veux qu’on m’estime plus que tout. J’abomine la brutalité, elle me propulse hors de moi. Au sang chaud du bonheur, je préfère le sang froid du malheur.

Sadeler, Aristote et Phyllis, 1580

Un enculé ne mérite pas de vivre, il pulvérise la vie de plein de filles et il n’est jamais puni. Je ne m’enivre pas d’alcool, je n’aime pas ça, je suis soule de vengeance. Je ne sais pas ce qui me prend, de le voir en train de me sucer des yeux, il me dégoute, je veux le châtier. Des prédateurs sexuels, voilà la vérité, je veux qu’ils le reconnaissent, qu’ils l’avouent humblement, les yeux baissés, fini de faire le fier, c’est moi qui domine. Il ne rêve que de me violer et, maintenant, il est là hagard sur une table à regretter d’être né avec ce sexe imbécile et mou. Je n’aurais jamais eu la force sans le soutien de dieu, je ne sais lequel, une espèce d’homme idéal faisant de moi l’instrument de sa justice. Le seul à qui je n’ai jamais fait confiance.

Ce mec tout puissant qui se laisse crucifier, un mec bien quand même. Il a tout compris, il doit se liquider pour faire comprendre aux autres qu’il faut chialer pour expier les fautes de l’homme. En plus ça ne lui fait même pas mal, après tout, c’est un dieu je crois ? Que de temps perdu, tout aurait été si bien s’il n’y avait pas eu toutes ces erreurs. Vivre d’amour et d’eau fraîche, ne jamais se casser la tête, se laisser aller l’euphorie, pourquoi toute cette merde ? Tout ce qu’on fait en pensant à Jésus Christ ne compte pas comme si on n’y pense pas. Je lui mords le nez jusqu’à l’arracher. Attendrie, je le regarde en souriant, puis je luis mords du plus fort que je peux le sexe. Il a l’air heureux.

J’ai une idée en tête, elle me prend les tripes, me serre si fort que je n’ai plus d’autre choix que de l’exécuter. Comme si une force en moi m’obligeait à agir, comme si mon cerveau me disait vas-y, continue, va jusqu’au bout, ça ira mieux après, ça va un peu mieux après, sans plus. Je sens l’idée s’éloigner, pas me quitter, elle est en moi, lacère mes pensées et mes gestes, je ne cherche pas à la cacher, m’en fous. Je ne suis pas là pour m’amuser, j’ai une mission à remplir, libérer l’homme de sa conscience, le purifier par mon amour total. Mon amour contre sa haine, suis sûre de gagner.

Juan de Flandes, Décollation de Jean-Baptiste, 1496

Une seule chose me plait, voir sa tête se satisfaire de ce que je lui dis, une soumission. Il semble si convaincu que cela me procure un début d’orgasme, une immense satisfaction éblouissant mon être. Je voudrais l’en remercier, rire de toutes mes forces, mais il me faut rester sérieuse. De mon sérieux dépend le bon déroulement de la mise en scène. Même si j’ai envie de me boyauter, c’est lui que je dois tordre dans tous les sens, jusqu’à trouver la position la plus sensible. La première condition pour réussir un spectacle, mettre à l’aise le spectateur en lui offrant le confort nécessaire, un peu plus même, lui faire comprendre que je suis aux petits soins pour lui.

Il s’est mis dans un mauvais pétrin tout seul, à lui d’en trouver l’issue. Je dis ça comme ça, après tout, je m’en fiche, son problème, pas le mien. Je me suis toujours demandé si le sang d’un homme est compatible avec celui d’une femme ? Toute cette pourriture en moi, besoin de purification, je me lave les mains dans son sang. C’est par cette purification que je m’élève au-dessus des autres. Tout devient vrai puisque je suis pure. Je dois prendre soin de lui, je le vois comme mon fils, mon tendre à moi. C’est pour son bien que je suis sévère. Ne rien lui laisser passer, il me remerciera un jour.

Je souffre de ne pouvoir faire certains gestes dans certaines positions. Je souffre pour un rien, mais j’endure cette impuissance se rappelant sans cesse à moi, lancinante épreuve me répétant quand tu es ceci, tu ne peux être cela, fais ça ou ça, pas les deux en même temps. Être humain, c’est faire un choix. Et faire un choix, c’est se réduire à moins que rien. Ce qu’il y a de pire dans la mort, son injustice, et pire que tout, elle est injuste parce qu’elle est bête, foncièrement idiote. Simple, pour être super puissante, il faut être super bête. Rien n’est plus désarmant que la bêtise, elle justifie tout.

Sanders, Excision de la pierre de folie, 1550

La plupart des crimes sadiques sont horribles parce que l’abruti s’acharne sur un corps mort, un boucher qui découpe la bête jusqu’à en faire des morceaux appétissants. Une vocation, pas la mienne. S’acharner sur un mort, ça me fait gerber. Le sadisme de la vie est plus envoutant que celui de la mort. À quoi bon faire du mal si ce n’est pas pour en retirer du bien ? S’il ne souffre pas comment peut-il savoir ce qui est bon pour lui ?

Je n’ai rien contre personne, contre moi. Dieu m’a rendu parfaite pour que je puisse combattre le mal autour de moi. Je projette tout ce que je peux sur les autres, facile après de corriger ce qui ne va pas. Une personne agréable, sans personnalité, sans rien qui puisse accrocher le sentiment, le tour est joué. Il faut juste éviter ce qui fait peur, ce qui me heurte, ce qui me blesse, une personnalité trop forte qui m’étouffe me coupe les moyens. C’est à moi de couper, pas à lui. Lui faire croire qu’on peut intervertir les rôles, lui laisser un espoir, sans espoir, il y a abandon, dans l’abandon, plus personne ne joue son rôle.

Le prochain endroit qui m’attend, le seul où je serai reconnue à ma juste valeur, érigée comme une sainte sur son piédestal, le paradis. On ne sait pas combien ma tâche est éprouvante. Le travail d’assainissement est éreintant. Ils ne m’attraperont pas, ils ne me mettront pas en prison. Je redoute cette photo anthropométrique, ils feront exprès de m’enlaidir pour me donner l’air mauvais, moi qui suis si bonne ! Les gens diront, elle a l’air d’un monstre, ce n’est pas vrai, je suis belle, si belle qu’ils seront obligés de me défigurer. Et puis en prison, je le sais, ils me feront du mal, ils me jalousent, ils me craignent, ils se vengeront, me plongeront dans les pires avanies, non, je ne le veux pas, ils ne m’auront pas.

Weerts, L’assassinat de Marat

Dépenaillé de sa chair qui pendouille, je mesure l’étendue de ma bienveillance à son égard. Je suis si attentionnée à ne rien mettre de côté. Je veux lui faire comprendre que je ne le méprise pas. Je l’adule. À son œil hagard à moitié sorti de son orbite, je sais que je suis sur la bonne voie, la voie de la sagesse. Il existe une telle liberté entre nous que je me sens en osmose avec lui. Comment pourrais-je m’arrêter en si bon chemin ? Comment pourrais-je jamais m’arrêter ? C’est de sa faute, pas la mienne, je suis la victime, il n’en est que le spectateur, à lui le beau rôle, à moi le mauvais. Pour lui, presque fini, quelques instants d’agonie, pour moi, ça continue. Tout nettoyer, le corps est immonde, à moi les corvées. J’ai purifié son âme, je dois laver les traces. Nul ne doit savoir, je dois oublier, juste garder un petit souvenir de lui, mon bien-aimé. Et quand tout sera fini, il faudra trouver un autre. Mon existence de sainte est un enfer. Tout s’agglutine en moi, je sens que je vais exploser. Si seulement. On ne se libère pas de ce que l’on n’est pas, je ne suis pas criminelle, je fais mon devoir, j’essaye juste de survivre, plus pour longtemps.

Note : Pour écrire ce texte, je me suis inspirée de faits authentiques et de témoignages de tueuses en série

Comments
11 Responses to “Serial killeuse”
  1. Oscar dit :

    Impressionnant, ce cortège! A donner froid dans le dos!

    Le théâtre de Racine n’est pas mal non plus dans le genre (Roxane dans « Bajazet », Agrippine dans « Britannicus », etc…).

    Cela dit, chère Céline, cela vous révolte donc tant que ça d’être considérée spontanément comme une créature douce et gentille en tant que faisant partie du « beau sexe » (non, je n’ai pas dit « sexe faible », ha! ha! ha!)…

    Faut-il vraiment se désoler que les femmes torturent, violent et tuent en moyenne un peu moins que les hommes, pour se donner tellement de peine afin de chercher une liste noire de contre-exemples??

    Il ne s’agit pas d’idéaliser la gent féminine ni de l’angéliser, mais enfin tout de même, bon, bref….

    Je n’ose vous adresse des bisous même en tout bien tout honneur, de peur de me faire mordre!

    Sans rancune et très amicalement tout de même!!

    Et encore bravo pour la qualité de votre blog; oui je sais, je radote, mais c’est pour amadouer la tueuse en série, car je suis peut-être courageux (?), mais non téméraire, ha! ha!

    • cieljyoti dit :

      en fait, je voulais faire un article sur les tueuses pour déjouer un peu l’idée que les femmes sont incapables de monstruosités. bien entendu, réclamer l’égalité de l’horreur est un humour noir dont je ne suis pas très fière ! je me suis très vite aperçue que faire un article en énumérant les atrocités n’avait qu’un intérêt limité. on trouve ça partout sur le net. je me suis donc décidée à écrire comme si j’étais… mais je vous rassure, je ne suis absolument rien de tout cela, même pas en cauchemar. à vrai dire, lire et écrire ces récits épouvantables m’a rendu très angoissée. un exercice de style donc, très éprouvant quand même, je le reconnais. merci beaucoup pour votre chaleureux commentaire

  2. hum salut 1 heure 41 minutes pour me connecter instaler logiciels changés ligne je ne suis pas chez moi je suis à San Francisco a la convention des développeurs de produits Apple à midi dans 25 heures à l’heures de honk Kong bon dictionnaire désactivé misere mon 4 iem essaient pour t’envoyé mon commentaire La méthode de la requête HTTP n’a pas été acceptée par le
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    hum bon super ton billet serial killer oui j'ai vu la note de bas de page tu t'es inspirée de texte de serial killeuse

    En arizona au usa des Amazones si je regarde sur wikipédia

    En suède 50% des femmes sur les conseils d'aminstration et un rapport de l'ocde sur l'entreprenariat des femmes en encadre par des fair valoir et conseiller par des memtor

    Et à Montréal 83 % des femmes sur 5300 et à Beijing beaucoup de femme qui ont des maitrise en gestion des affaires j'ai bien aimer sa bon espérons que sa marche dans 10 minutes au travail

  3. BERNARD dit :

    « Les énigmes me font vivre, les solutions me font mourir. » Bien vu !

  4. Jean-Charles dit :

    Je me suis bien amusé à lire ce texte j’ai lu dans les commentaires ce que tu en disais. Il y a des phrases remarquables qui valent leur pesant d’or. Comme d’habitude ton style en dehors d’être plus qu’agréable montre que tu t’es documentée.
    Cela dit je vais d’ores et déjà penser à toi d’une autre façon.
    A bientôt

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