La fin du monde

Tout commence le mardi 18 décembre 2012. Mon mec, avec sa douceur habituelle, m’annonce qu’il en a assez de moi parce que j’oublie tout, que j’arrive systématiquement en retard et, surtout, que je suis supposée aguicher ses copains. J’ai beau lui expliquer que c’est pour lui faire plaisir que je fais un effort pour me faire belle et sourire aux personnes qui daignent nous rendre visite, il ne veut rien entendre. Il m’accuse de faire du gringue à tout le monde, comme s’il me reprochait d’être trop belle. Être trop belle pour un mec, c’est comme être trop moche pour un pou, ça gratte la tête. Ce n’est pas de moi dont il a assez, c’est de lui, je lui rappelle ce qu’il est. C’est vrai que jusqu’à présent, il y avait plus de bas que de hauts, mais bon, je me disais, un homme, ça se bonifie avec le temps, il suffit d’attendre. Anne, ma sœur Anne, ne vois-tu rien venir ? Un mec de perdu, dix de retrouvés. J’ai besoin d’un nouveau, deux de perdus, vingt de retrouvés, plus sûr.

Brauner, Totem de la subjectivité blessée, 1948

Brauner, Totem de la subjectivité blessée, 1948

Pour prendre de la hauteur, il faut lâcher du lest, quitte à lâcher quelque chose, autant que ce soit lui. La mort dans l’âme, je ne le retiens pas. Du coup, je m’envole vers la cuisine histoire de me faire une petite pizza surgelée. J’imagine avec délectation les saveurs du goût se dilatant de bonheur dans mon palais. Horreur, le frigidaire est bousillé, les surgelés ont fondu, immangeables. Sans mec, on peut survivre, sans nourriture, c’est plus difficile. Me décrasser de la tête aux pieds, utiliser les grands moyens, me relaxer sous l’eau, rien de tel pour arrondir les idées. Malheur, la salle de bain est inondée. Un ruissellement de l’étage supérieur. Chercher une fuite d’eau et rédiger un constat de dégât des eaux à 23 heures passées, une expérience inutile. Quand le conduit est bouché, la crasse revient à la surface, ce que l’on croyait effacé revient comme un rot.

Épuisée, je me couche. Curieux, je n’avais jamais remarqué combien ce matelas est affaissé. J’ai l’impression de dormir dans une baignoire remplie de mousse. Vu mon poids, j’en conclus que mon mec pesait sacrément dans ma vie nocturne. Faire des matelas pour dormir, bien pensé, mais pourquoi ne pas concevoir des matelas pour faire crac crac ? Un super business en perspective, le premier matelas pour assouvir ses plaisirs naturels ! Le matelas est une balance, le plus lourd soulève le plus léger et quand le plus lourd s’en va, la chute, la fin de ce que l’on croyait immuable.

La fin du monde, c’est quand on a perdu l’homme qu’on aime ou qu’une copine fusille les fringues qu’on vient de payer une fortune ? Quand on s’attache à des objets périssables. Je m’attache à trop de trucs et trop de trucs ne s’attachent pas suffisamment à moi. Depuis le début je suis une fin du monde, tout glisse sur moi, je ne retiens rien ni personne. Ce que je porte me supporte, ce qui me conforte avorte, ce qui m’insupporte m’escorte. Je ferme les yeux, j’arrête de penser, la nuit est truffée de cauchemars.

Järnefelt, Débroussaillage par le feu, 1893

Järnefelt, Débroussaillage par le feu, 1893

Mercredi 19 décembre. Je pars au bureau. Un boulot fastidieux à récurer l’intelligence, mais pas trop mal payé. Quand on n’existe pas pour son travail et que le travail ne nous fait pas exister, il ne reste plus qu’à mourir d’ennui. Un vilain coup de vent ou quelque chose comme ça, la voiture déborde, un accident, le véhicule est tout cabossé. Moi, pas une égratignure, si ce n’est morale, je me sens toute nue devant la foule curieuse. Je sens la terre trembler sous mes pieds. La bourrasque me frappe la face, un tsunami géant dévaste mon cœur. Courageuse comme pas une, j’arrive au bureau, bien mal m’en prend, je me fais lourder de mon boulot comme une malpropre, cause retard à répétition. Le coup de l’accident, le tsunami, tout ça, ils s’en foutent. Le plus dingue, c’est que moi aussi je m’en bats de l’aile.

Les gens dans la rue lisent dans mes pensées, rien que du rouge autour de moi dans ces yeux qui me scrutent comme si j’avais le visage ravagé par la varicelle. Chaque pustule est un volcan en éruption, des giclées de pus sanguinolent coulant sur mes joues. Ils l’ont dit, quand les volcans reviennent à la vie, la fin du monde est proche. La moiteur monte à l’excès, on se sent peu à peu enveloppé de fournaise, tout s’apprête à fondre pour être emporté dans une lave bouillante détruisant tout sur son passage. Je touche ma peau, elle est intacte. Question température, je n’ai pas plus chaud que ça. Les fissures sont ailleurs.

Guardi, Incendie à l'entrepôt d'huile, 1789

Guardi, Incendie à l’entrepôt d’huile, 1789

Je rentre chez moi, je suis prise d’une bouffée de chaleur, je n’en crois pas mes yeux, la maison est en feu. Est-ce de ma faute, ai-je oublié d’éteindre quelque chose ? Je finis par me demander si mon mec n’a pas eu raison de me lourder. Au moins ses affaires n’ont pas cramé avec les miennes, la première fois qu’on se serait enflammés pour la même raison au même moment. Vivement la fin du monde, je commence à en avoir sacrément marre, moi ! Je téléphone à une copine, elle est d’accord pour me loger le temps qu’il faudra. Après tout, ce n’est pas plus mal ainsi, je n’avais pas envie de rester seule. Quitte à se morfondre, autant le faire à deux.

Je me demande comment celui qui doit mourir peut faire la différence entre sa propre fin et celle du monde ? Après tout, rien ne l’empêche de se dire qu’il ne meurt pas seul, que l’humanité sombre avec lui dans le gouffre d’un monde nouveau, inexploré, l’enfer ou le paradis, sans doute les deux en même temps. Mourir seul, on a quand même l’air sacrément bête, ai-je raison de partir ainsi toute seule ? La fin du monde est une bande de joyeux lurons se tenant par la main pour faire le grand saut. Pour un dernier rendez-vous, faisons la fête.

Jeudi 20 décembre. Pour vivre et survivre, aller son lot quotidien, trouver du boulot, il faut un téléphone, le complément indispensable d’un ordi. On n’imagine pas le nombre de casseroles qu’on s’attache au pied en se levant. Une longue file d’ustensiles qu’on traine toute une journée, qu’on ne quitte pas la nuit. Vivre d’humeur et d’eau pure, sans aucun fil à la patte où l’on compte plus sur soi que sur les autres pour vaquer à ses occupations est un temps révolu. Désormais, on a plus besoin des autres que de soi pour survivre. On va jusqu’à s’effacer pour le plaisir de suivre un inconnu sur les mêmes fréquences radios que soi. Le sens de l’amour s’effondre dans l’amour du sens.

Deux lignes éphémères se rejoignent plus vite que deux lignes qui s’éternisent. La stratégie du court, ce qui a une fin a plus de chance de durer que ce qui n’en a pas, lassitude. Ça ne sert à rien de cibler, s’accrocher à ce qui passe, tenir bon et lâcher prise. Une porte, ceux qui frappent pour la fermer, ceux qui cognent pour l’ouvrir. Un seul moyen, quelqu’un pousse, il faut tirer, quelqu’un tire, il faut pousser. Déstabiliser, faire perdre l’équilibre, le meilleur moyen de trouver le sien. C’est quand on commence à attendre que la fin se met en place. Les acteurs montent sur scène, escompter avec angoisse la tirade qui révèle les tenants et aboutissants de ce tissu dont les fils sont si bizarrement emmêlés qu’ils se déchirent au moindre accroc.

Francis Bacon, Etude nu accroupi, 1952

Francis Bacon, Etude nu accroupi, 1952

Je trouve un boulot idiot, il faut faire un stage de six mois dans une salle de musculation. Ils veulent que je vende du sport en montrant qu’une femme peut avoir de gros muscles sans les exhiber. Vu mon gabarit, ce n’est pas six mois qu’il faut, 60 ans peut-être ? Pas la bonne personne, je ne suis jamais la bonne personne. On s’ingénie à montrer ce que l’on n’a pas, ce que l’on a se montre tout seul. Pour les trucs naturels, on n’a pas besoin d’intermédiaires, c’est pour les trucs artificiels qu’il faut une tonne d’intermédiaires. Adieu nature, bonjour artifice, me voilà prête à consommer le déjà mâché, digéré et déféqué, vive le début du monde sans fin !

Vendredi 21 décembre. On touche la fin quand on atteint la perfection. La perfection tue tout ce qui existe. L’ultime aboutissement, elle est ce que l’on doit le plus redouter. Justement, ce qui m’effraie, je suis parfaite dans l’imperfection. On ne peut pas être plus imparfaite que moi, mon angoisse, et si on prend ce foutoir pour de la perfection, c’en est fini de moi. Je vis d’équilibre précaire en équilibre précaire, je n’ai rien trouvé de mieux pour me lever tous les matins. Mon lit n’y comprend rien, en sortir, c’est comme descendre d’un train en marche.

Lowry, Sortie de filature, 1930

Lowry, Sortie de filature, 1930

Comment font ces gens qui se réveillent avec la certitude de trouver l’identique qu’ils ont vécu hier ? Leur seule motivation se délecter de ce qu’il voit depuis toujours. Le train-train, les petites habitudes, les redites, voilà ce qui tue non seulement un couple, l’humanité entière. La barbarie de la répétition, là où elle passe, plus rien ne pousse. Chaque jour qui va, un nouvel étau se referme, ce qu’on a dit, pensé et fait revient comme un nouveau tour de manivelle des pinces nous enserrant toujours plus dans le monde du déjà vu et déjà dit. Dans le monde ennuyeux du toujours pareil, le moindre trébuchet devient un piège insurmontable. Quand le monde bouge, c’est tous les jours la fin du monde.

Deux obsessions au petit matin, ceux qui veulent revivre ce qu’ils ne cessent de supporter et ceux qui veulent casser le rythme pervers des répétitions. Quand deux maniaqueries se retrouvent dans le même lit, au peut s’attendre au pire. Le problème, les contraires s’assemblent, ils ne le savent pas, ils le découvrent à petit feu. Tout le monde se méfie des différences des autres, personne n’aime être différent de soi, se sentir dépossédé. Ne sommes-nous pas plus que les guirlandes de mots dont nous nous plaisons à nous parer ?

Le monde ne s’écroule pas sous les fondations qu’il n’a pas. Un va-et-vient diabolique. Va la bluette printanière. Vient un jour où les convictions deviennent insupportables. C’est à ce moment que tout s’effondre. Le problème de la nature humaine, elle est prévisible. On prévoit le meilleur ou le pire qui n’arrive que très rarement, reste la moyenne. Rien n’est plus calamiteux que la moyenne. Elle a un petit air d’éternité, puis l’éternité se fige en désespoir. Cette répétition de la médiocrité est le pire du meilleur, on sait à quoi s’attendre.

J’ai eu tort d’aller voir ce navet, le Loup-garou de Venise, cette tête monstrueuse avec ses quenottes effrayantes et les yeux rouges de sang, je ne peux pas m’empêcher de le voir partout. Le fait est que celui-ci a une drôle de tête, il me regarde zarbi, il ne me lâche pas, je marche plus vite, pas de doute, il me suit. Je suis tombée sur le loup-garou du Paris ! Je me retourne, je le regarde méchamment, il me regarde encore plus méchamment, je suis très mal. Après tout, il n’a encore rien fait, je ne peux pas me mettre à hurler. De toute façon, j’ai la gorge tellement sèche que j’ignore si je peux crier. Plus rien ne peut entrer, pus rien ne peut sortir, une masse éperdue sombrant dans un ravin. Surtout rester là où il y a du monde, me perdre dans la foule. Il faut songer à rentrer chez ma copine.

Je presse le pas. Je bouscule des gens, je m’en fiche, dès que je le peux, je me mets à courir. Pourquoi est-ce dans ces moments où on en a le plus besoin qu’on perd la tête ? J’imagine des horreurs. Je hèle un taxi, miracle, il s’arrête, il me prend, il m’emmène, il me sauve. Je double le prix s’il me conduit le plus vite possible à la gare Montparnasse. Je me sens bien. Brusquement, le ciel s’assombrit, mes tempes noircissent, mon front vacille, je n’ai presque pas d’argent sur moi ! Plus le choix. Par chance, un feu rouge. J’ouvre la portière, je me précipite sur la route, que m’importe de me faire écraser, je n’y pense pas. Je cours, j’ai peur, c’est la première fois que je fais quelque chose comme ça. Une expérience éprouvante, mais excitante. Je vois le chauffeur sortir de son véhicule, il me court après. Pas de bol, il est jeune, il se déplace vite.

Comme une folle, je descends échevelée sur les quais, j’ai une idée. C’est bien ce qui me semble, à cet endroit, il y a des bateaux. Celui-ci a son capitaine. Je m’élance dessus. Cher monsieur, j’ai un rêve depuis toujours, naviguer sur la Seine, si beau, si excitant. Le mot fait tilt, il me lance un grand sourire, je monte, nous partons vivement, il veut me montrer qu’il sait manœuvrer son engin flottant. Il a un tas de choses à me montrer d’ailleurs. Je prends conscience que je suis seule avec lui au milieu de l’eau, sans autre alternative que de le suivre là où il veut aller. C’est mal me connaître. Je ne lâche jamais. Bien entendu, ce qui doit arriver arrive. Je suis montée à bord, ce n’est pas gratos, je sais à quoi m’attendre, je dois payer le prix.

Simon Myle, L'arche de Noé sur le mont Ararat, 1517

Simon Myle, L’arche de Noé sur le mont Ararat, 1517

J’imagine l’arche de Noé, Dieu n’est pas content et, quand il se fâche, il ne fait pas semblant. Il accorde le salut à quelques heureux élus se retrouvant dans un bateau sans toutes les commodités actuelles. Déjà avec des humains, ce n’est pas top, avec des animaux, bonjour les odeurs ! Et les crises de couples, Dieu n’en a sûrement jamais entendu lui qui reste seul pour l’éternité. Comment on fait pour bouder dans un bateau en bois bricoà la mords-moi-le-noeud, comment on fait pour piquer sa colère ? Sur le grand voilier de la vie, on vogue seul pour conquérir, on vogue à deux pour se découvrir.

Devant mon refus, je vois son visage se transformer. Après tout, c’est moi qui ai insisté, c’est moi qui dit non maintenant, dans tête, il n’arrive plus à gérer. Alors il compense, il joue les gros virils à qui rien ne doit résister. Son visage devient un mélange de loup-garou, de chauffeur de taxi en furie et de marin sûr de son fait. Il faut qu’il comprenne que j’ai droit d’avoir des états d’âme, que l’arche de Noé ne doit pas devenir l’arche d’alliance, une alliance ne peut prendre la forme d’une arche. S’il croit m’avoir, il se fourre le doigt dans l’œil jusqu’au coude. Je saute dans l’eau. Merci monsieur le maire de Paris d’avoir nettoyé la Seine d’une partie de sa pollution, mais je ne le remercie pas de ne pas m’avoir appris à nager correctement. Tout habillée en plus ! L’eau n’est plus aussi glacée, je n’ai plus envie de faire des mouvements inutiles. Comme absorbée par l’eau, je me sens lentement couler, enveloppée de toute la douceur du monde.

Je vois défiler ma vie sous mes yeux ébahis. Pas un exploit, pas même une étincelle dans le noir, j’ai passé ma vie à raconter ma vie ! On ne pense jamais assez à sa mort, on pense trop d’ailleurs, si on pensait moins, on aurait plus à voir au moment fatidique de passer de vie à trépas, cette épreuve terrible, s’apercevoir que sa vie a été une longue suite de vides mis bout à bout. On passe le dernier instant de son existence à compter les morceaux de colle entre deux courants d’air. Ma vie, un courant d’air ? Même pas une petite tempête ? Et si on meurt comme on a vécu, personne ne risque de s’apercevoir que je ne suis plus là !

Les Mayas sont très forts, ils ont prévu la fin du monde, mais ils n’ont pas été foutus de prévoir la fin de leur monde. Dommage, ça leur aurait permis de mieux s’y préparer. Pour la fin d’un monde, il faut se munir d’un plongeoir pour le nouveau, pour la fin du monde, il vaut mieux aller se coucher. Quand on met ses lunettes et qu’on commence à y voir plus clair, jamais les Mayas n’ont prédit la fin du monde, la fin d’un cycle avant un autre cycle. Les Occidentaux qui n’ont pas la vue longue ont traduit ça par la fin du monde, histoire de faire un film flambant neuf pour terroriser les âmes sensibles. Il y a quand même du bon, tous ceux qui voulaient se suicider ne l’ont pas fait, ce serait bête de rater le spectacle.

Altdorfer, La bataille d'Alexandre, 1529

Altdorfer, La bataille d’Alexandre, 1529

Un combat acharné pour une parcelle de terre rendue inculte par le trépignement ahuri des soldats éperdus entre leur devoir de tenir le front et leur volonté de fuir à tout jamais ces scènes d’horreur. Tenir coût que coût face à ces monstres assoiffés du sang de la liberté. Dans ce ramassis de membres arrachés et broyés, il est difficile de discerner les gentils des méchants, un salmigondis d’êtres hagards dégoulinant d’un sang inconnu. Les corps ravagés se mélangent de haine, de terreur, d’une compassion cruelle et sanguinaire, on ne sait qui porte les coups, qui les reçoit, plus besoin de savoir, le piétinement de l’âme sur le chemin de la mort. La folie n’est rien si l’on ne commence à y croire dur comme fer, le fer qui tranche.

Van Eyck, Jugement dernier, 1430

Van Eyck, Jugement dernier, 1430

Le jugement dernier, un gigantesque règlement de compte où l’on est censé reconnaître les siens malgré les années qui ont rendu les corps déplorables d’anonymat. Ceux qui se sont mal conduits et qui jusque-là croyaient avoir échappé aux tourments se trouvent dans les affres de l’erreur. Mais c’est quoi une faute ? S’être laissé aller à ses penchants ? On les voit gémir que ce n’était pas leur faute, ils étaient imbriqués dans une machine où ils n’étaient que des pions. Le pion peut-il être plus coupable que le roi ? Et qui est le roi sinon Dieu lui-même. Retour à l’envoyeur. Le plus coupable n’est-il pas celui qui nous a fait croire plutôt que de nous expliquer, à nous pauvres humains, qu’il est vain de courir après des chimères ? Au lieu d’un grand débat final, je suis pour un débat quotidien, un jugement dernier tous les jours.

Rogier van Weyden, Jugement dernier, 1443

Rogier van Weyden, Jugement dernier, 1443

Pile et face, recto et verso, bien et mal, dieu et diable, si l’on oublie son contraire, le monde reste en suspens. Qui ne peut affronter les éléments reste en dehors du monde, une existence virtuelle raccommodée des petits fils de la raison. Tout est si raisonnable qu’on n’y comprend plus rien, la fin de la raison, le voilà le monde qui s’effondre, il perd son sens, double sens, le combat des contraires, les éléments s’imbriquent entre eux jusqu’à produire la mixture de la vie. À force de jouer les victimes, un monde inerte, pendu à son cordon de niaiserie, un monde qui n’a plus que sa fin à attendre. L’électricité vacille, elle est faible, puis, à force de se heurter, le monde devient intense, de quoi allumer une lampe, au chevet de l’humanité, je sais que je dois vivre ce que je ne suis pas, je sais que je dois vivre.

Roberto Innocenti, Rose blanche, 1984

Roberto Innocenti, Rose blanche, 1984

Je sens une forte pression sur la poitrine, l’eau remonte des poumons, je suis vivante, allongée sur le sol, un pompier à côté de moi en train de me secouer. Le goût âcre de l’eau dans la gorge me fait tousser très fort. Le pompier me sourit, il me dit : tout va bien. Il ignore que mes ennuis ne font que commencer. Je ne me suis pas suicidée, un stupide accident. Même lui est là, il a l’air tout penaud comme s’il regrettait amèrement ce qui s’est passé, il paraît presque sympa. Ils m’emmènent à l’hosto, pas question d’y rester, je veux voir la fin du monde, on n’est jamais assez affamé. Je jette l’ordi, le téléphone et tous les gadgets à la poubelle, je vais me la faire ma fin du monde à moi toute seule. J’ai faim du monde.

Comments
17 Responses to “La fin du monde”
  1. oussamamuse dit :

    20.12.2012, en ce jour numéro illogique, j’aurai enfin faim de toi, émoi, en fin, de droit !

  2. Jean-Louis dit :

    Sur le grand voilier de la vie, on vogue seul pour conquérir, on vogue à deux pour se découvrir…

    « Renaître d’instant en instant. Empêcher en moi le travail de la pensée qui échafaude le néant des constructions vaines… Penser à la mort, prier. Il est des âmes pour qui ce besoin existe encore, et les cloches se font leur voix. Pour moi je ne l’éprouve plus car à chaque instant je meurs et je renais, neuf et lavé de souvenirs; dans mon intégrité et vivant, non plus en moi, mais en toutes les choses extérieures. »
    Luigi Pirandello 1927 – dernières phrases de son dernier roman : « un, seul et cent mille ».

    Bonne faim de monde et à bientôt en enfer !

  3. humeur d’en rire. C’est exact:) m’en suis payé de bonnes tranches ….de rires. Merci pour cet intermede ludique mais aussi trés ethologiste 😉

  4. solere dit :

    Impossible de dormir cette nuit, ce qui m’a permis de vous lire très longtemps.Bravo pour vos écrits si drôle et parfois triste en même temps.

  5. Sherlock7254 dit :

    à faire frémir, mais très drôle au final, j’ignore si on rira autant le moment venu, il nous reste du temps, sans doute

  6. Jean-Charles dit :

    Il y a longtemps que je ne t’avais pas lue… mais quel plaisir !
    Même si ton absence demeure en tout cas tu restes présente.
    Un joli clin d’œil pour toi parce que des bisous je n’oserai même si…
    À bientôt chère petite.

    • cieljyoti dit :

      heureuse d’avoir un peu de tes nouvelles. pour écrire mon roman, je me suis décidée à m’enfermer dans le silence et j’en suis venue à bout ! l’histoire de trois générations de femmes avec plein d’aventures « impossibles ». au lieu de me sentir épuisée par ce travail assez compliqué, j’ai plutôt l’impression d’avoir ouvert une porte. les idées affluent. je suis en train de travailler sur un autre roman, cette fois différent, une espèce de huit-clos dans une chambre d’hôpital à la façon Agatha Christie avec une énigme à la clé. une partie de moi ne vit plus que dans la fiction !! dis-moi ce que tu deviens, bisous et à bientôt

      • Jean-Charles dit :

        Quelle bonne nouvelle ! Ce premier roman a-t-il trouvé un éditeur où une autre façon d’être publié, je serai en tout cas très heureux de te lire ? Dans quelle langue l’as-tu écrit ? Dis m’en plus !
        Je comprends ce que tu veux dire à propos des portes qui s’ouvrent, l’écriture m’a aussi permis de retrouver un peu de moi.
        Je suis de nouveau sans travail, la société dans laquelle j’ai officié pendant 18 mois n’avait pas les reins assez solides pour perdurer,
        je suis entre fin de chômage et retraite, une galère en quelque sorte.
        Je continue de parader sur mon blog et je me fais violence pour écrire une histoire a rebondissements que je n’ose appeler autrement. Habitué aux nouvelles avec des personnages qui n’existent que temporairement c’est une gageure. L’avenir dira.
        Bonne chance dans ce que tu entreprends, je t’envoie un avion de bisous. 😉

      • cieljyoti dit :

        pour le moment, je n’ai pas cherché d’éditeur. chaque chose en son temps. c’est écrit en français. j’ai toujours opté pour le français question écriture. l’emploi est un énorme problème en France. mais si tu es proche de la retraite, c’est tout de même un point positif, je suppose. rien ne t’empêche de travailler une fois à la retraite pour ne pas sombrer dans la déprime de l’inactivité. écrire, oui, tu as mille fois raison, tiens toi occupé, une histoire à rebondissements, génial ça. continue jusqu’au bout. ne te démoralise pas, je suis une optimiste forcenée parce que je suis convaincue que c’est la meilleure façon de traverser ce monde. bon, je sais, ce ne sont que des mots. j’espère de tout mon cœur que tu te sortes de cette situation. l’écriture peut t’y aider, donc il faut que tu ailles au bout de ton imagination. tu va sûrement y trouver cette force qui te permettra de continuer, en tout cas je te le souhaite. gros bisous

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